Série de Daisuke Igarashi en 2 volumes, éditée en VF par Sakka, en VO par Kodansha.
Sens de lecture japonais, 150x210mm, 10,95€.
Ichiko a grandi dans le petit village de Komori. Puis elle est partie pour la ville suivre son petit ami. Elle est finalement revenue à la campagne, cultiver sa terre, se nourrir de ce qu’elle trouve dans la nature autour d’elle. Mais n’y a-t-il que ça ?
Petite forêt est un manga en deux tomes signé Daisuke Igarashi, paru en 2008 en version française chez Sakka qui nous avait déjà permis de lire Hanashippanashi et Sorcières, sans oublier Sarbacane qui nous fait découvrir Les enfants de la mer en 2012. C’est d’ailleurs suite à la lecture des premiers volumes de cette dernière série que je me décide à trouver en occasion Petite forêt, hélas indisponible autrement.
Petite forêt, c’est l’histoire d’Ichiko, jeune femme revenue vivre dans le petit village de Komori où elle a grandi avant que sa mère l’abandonne sans un mot d’explication. Mais on n’est pas là dans un drame familial déprimant mais plutôt dans un manga de découverte culinaire. Les premières pages m’ont ainsi fait penser au manhwa Kitchen de Cho Ju Hee (édité par Clair de lune), qui nous fait découvrir la Corée du sud au travers de ses plats typiques, de ses traditions gourmandes, au travers du regard d’un personnage sur quelques pages, utilisant la nourriture pour évoquer une situation précise, un problème relationnel à résoudre, au travers de chapitres courts conclus par des anecdotes de l’auteure.
C’est également le cas ici, chaque chapitre étant l’occasion de connaître une recette précise mais toujours en suivant Ichiko, proposant non pas la découverte de la gastronomie japonaise générale, mais celle de plats des campagnes, simples, souvent anciens, à base de riz, soja, légumes du potager et plantes sauvages. Des ingrédients que la jeune femme ne trouve pas au supermarché, dont son village est dépourvu, mais au fil de ses journées bien remplies d’agricultrice amateure, devant s’occuper chaque jour de sa rizière et de son jardin. Voilà autant d’occasions pour nous de suivre le quotidien sans fard ni prétention de villageois vivant au fil des saisons, acceptant le temps qui passe, profitant de la moindre occasion pour apprendre, échanger, retrouver des traditions avant qu’elles soient totalement perdues. Chaque chapitre est ensuite conclu par quelques mots d’Ichiko au sujet de la recette présentée, ou des photos de sa région, sans doute issues en fait des sept années que Daisuke Igarashi a passé à la campagne, souhaitant renouer avec la nature, ce qui a évidemment donné naissance à cette série.
Mais Petite forêt n’est pas qu’une succession de leçons culinaires pour curieux amateurs de cakes au chou ou de pains à la pomme de terre. La série est évidemment un plaidoyer pour un retour à plus de naturel, de simplicité, d’authenticité face à nos vies aujourd’hui si citadines, déconnectées de nos racines, obsédées par la vitesse, poussant à la surconsommation sans âme. Le but n’est pas de dire béatement « c’était mieux avant » avec une nostalgie rance et jalouse, juste de proposer une autre vision, une manière différente de vivre, d’apprendre d’où vient chaque chose qui compose notre quotidien, et notamment le contenu de nos assiettes.
Les habitants de Komori ne se cachent pas derrière de grands discours bourrés de bonne morale désuète, ils vivent simplement leur quotidien au jour le jour, en profitant de chaque instant sans se soucier du superflu. Komori apparaissant alors comme un havre de paix sincère et authentique, pas du tout béat naïvement, juste là.
Mais pour Ichiko, Komori n’est pas un choix conscient et assumé de retour aux sources, mais plutôt le résultat d’une fuite d’une vie qu’elle n’a jamais réussi à apprivoiser. Abandonnée par sa mère, elle se surprend à faire la même chose en fuyant ses problèmes qu’elle ne veut pas affronter, sa petite maison nichée au fond de la campagne étant plus une cachette emplie de fantômes du passé qu’un nid pour oisillons rentrant au bercail. Petit à petit, subtilement dissimulée au fil des plantations, des recettes de cuisine ou des discussion avec les voisins, l’histoire de la jeune femme se révèle par petites touches, faisant apparaître un quotidien certes agréable mais cachant une certaine amertume et une solitude de plus en plus difficile à accepter, étant le résultat d’une fuite qu’elle ne pourra pas éternellement supporter. Le propos est très doux, sans jugement, sans lourdeur, permettant au personnage d’évoluer tranquillement, ayant elle aussi besoin de temps pour grandir, comme cette nature qui l’entoure qui a son propre rythme immuable pour pousser.
Le trait d’Igarashi est toujours aussi délicat, personnel, subtil, sensible, sachant donner vie à chaque forme, permettant véritablement de s’imprégner de cette simplicité sereine qui s’écoule de chaque page. On se laisse porter tranquillement par la lecture, au fil des petits chapitres, ayant aussi bien un sens en eux-mêmes que pris comme un tout.
Petite forêt est une œuvre pleine de douceur, de tendresse et chaleur, parvenant à éviter toute nostalgie mielleuse, naïve et réac’ tout en donnant envie de ressentir un peu plus de quoi nos vies se composent, ce qui importe vraiment, ce qui nous pousse à avancer, le rythme qu’on peut choisir de suivre. Une petite plongée dans la campagne, le temps d’une récolte ou d’une cueillette de plantes sauvages pour agrémenter le prochain repas…
Parmi tous les manga « retour aux sources/à la nature » parus en France, La Petite Forêt est selon moi le meilleur (et aussi le meilleur d’Igarashi, je trouve).
C’est fou comme les plats les plus simples « sentent » bon quand on lit cette œuvre, un peu comme dans Sacrée mamie. Et je suis bien contente qu’on n’ait pas de discours moralisateur comme dans Les fils de la terre…