Volume unique par Leïla Slimani et Laetitia Coryn, édité par Les arènes BD en septembre 2017, 193x210mm, 110 pages, 20,00€.
C’est totalement par hasard que je tombe sur Izneo sur Paroles d’honneur, une BD de Leïla Slimani et Laetitia Coryn aux Arènes.
Leïla Slimani est une écrivaine d’origine marocaine. Quand sort son premier roman Dans le jardin de l’ogre en 2014, elle effectue une tournée au Maroc. Son œuvre parlant d’addiction sexuelle, on pourrait s’interroger sur sa réception dans ce pays mais l’autrice rencontre au fil de son voyage plusieurs femmes qui s’ouvrent à elle et lui partagent un peu de leur intimité. Elle en tire un essai, Sexe et mensonges, dont elle adapte certaines parties en roman graphique ici avec le dessin de Laetitia Coryn.
Cette très belle BD est l’occasion pour nous français de dépasser un peu les préjugés et les clichés qui nous brouillent l’esprit concernant la question du sexe dans un pays qu’on fantasme plus qu’on ne cherche vraiment à le connaître.
C’est d’autant plus important quand c’est fait au travers du regard d’une écrivaine marocaine qui rapporte les paroles de ses consœurs restées au pays.
La question de la sexualité est encore très taboue au Maroc où il est interdit dans le Code pénal d’avoir des relations sexuelles hors mariage. Interdiction qui évidemment est nettement plus pesante pour les femmes que pour les hommes puisqu’on va attendre d’elles qu’elles arrivent vierges au mariage si elles ne veulent pas couvrir toute leur famille de honte et être rejetées.
Au travers du premier témoignage de Nour, célibataire d’une quarantaine d’années fière de sa liberté choisie malgré le poids qu’il lui fait porter – difficile de se loger sans la garantie d’un homme notamment, méfiance des autres femmes qui craignent la rivalité, des hommes qui craignent la mauvaise influence -, on réalise la complexité d’une existence où la pression sociale, le regard de l’autre sont si fortes, pouvant briser des familles, des amitiés, des vies.
Difficile de trouver sa place quand tout semble régi par un code obsolète, rigide, ne reflétant aucune réalité mais érigeant en modèle un “idéal” de vertu et de pureté inatteignable et insoutenable. Ne servant surtout qu’à empêcher les femmes d’êtres maîtresses de leur vie.
Au fil des rencontres de femmes venues de diverses couches de la société, d’âge varié, de situation personnelle diversifiée, on observe l’hypocrisie et la chape de plomb qui pèsent sur une société qui rêve de s’émanciper mais craint terriblement de se perdre en route, d’égarer ses repères, ses valeurs, ses fondations. Prostituées, homosexuelles, mariées trop jeunes, victimes de violences, divorcées, avortées, concubines, toutes cherchent à concilier leurs envies de liberté et leur identité profonde, empêtrées dans des règles morales qui n’arrangent que quelques-uns.
La question de l’islam est évidemment abordée, notamment au travers des recherches d’une théologienne qui lit le Coran avec une vision plus ouverte et féministe et y voit une occasion de liberté et d’épanouissement et non de peur et de morale obscure. “La misogynie est inhérente à l’humanité. Elle n’est pas spécifique à l’islam” dit-elle.
Le trait est doux et chaleureux, la narration nous balade intelligemment au gré des rencontres, des histoires de ces femmes, pas souvent drôles mais toujours pleines de courage face à un mur de conservatisme à briser coûte que coûte. Les esprits ont du mal à accepter les changements, le rigorisme semble revenir de plus belle à la charge mais c’est surtout l’espoir placé dans une jeune génération avide de pouvoir vivre ses amours au grand jour, sans retenue étriquée, que veut retenir Leïla Slimani.
Paroles d’honneur est une belle BD, touchante et chaleureuse, qui nous donne une parole brute et permet de découvrir un portrait diversifié et passionnant d’un Maroc un peu coincé entre ses peurs, ses traditions, ses hontes et sa soif de vie, d’amour, de partage. Un combat finalement commun à bien des pays, quelque soit leur culture, leur religion, leurs traditions…