Série en 3 tomes par Minetarô Mochizuki, éditée en VF par Le Lézard noir.
Sens de lecture japonais, 150x210mm, 15,00€.
Je poste désormais assez rarement des chroniques négatives, préférant privilégier les lectures qui m’ont plu. Néanmoins, je me suis dit que si j’avais quelque chose à dire sur une œuvre, même en négatif, et pas juste une fade indifférence… pourquoi pas ?
Car autant j’avais plutôt bien apprécié Chiisakobé, la précédente série de Minetarô Mochizuki au Lézard noir, autant Tokyo Kaido m’a posé pas mal de problèmes (je vais devoir quelque peu spoiler pour expliquer mon propos, vous êtes prévenu·e·s).
La clinique Christiania est spécialisée dans les recherches sur le cerveau. Elle accueille des enfants et des adolescents souffrant de pathologies suite à des accidents ou une maladie, leur apportant soins et soutien psychologique. C’est le docteur Tamaki qui s’occupe d’eux.
Par où commencer ?
Que les personnages ne soient pas éminemment sympathiques n’est en soi pas un problème. Comme expliqué dans ma chronique précédente sur Point de fuite, ce que nous inspire en positif ou en négatif un personnage fait justement partie de ce que souhaite décrire l’auteur.
Et c’est justement un des soucis principaux que rencontre Hashi, le personnage principal de cette série. Ayant un éclat dans le cerveau suite à un accident, il est incapable de retenir ses pensées et ne peut s’empêcher de dire tout haut ce qui lui vient à l’esprit, sans aucun filtre. Il passe donc son temps à balancer leurs quatre vérités à toutes les personnes qu’il croise, les autres malades de la clinique comme le personnel hospitalier.
Tout le focus de la série est principalement dirigé vers lui et si sa description fait évidemment de la peine – il souffre de ne pas être capable de se contenir et de faire fuir les gens autour de lui à force d’être vache – je me demande si on n’est pas là simplement face à la justification de la connardite aiguë du personnage. Certes, il ne peut pas s’empêcher de dire tout haut ce qu’il pense… mais pourquoi ne pense-t-il que des horreurs des personnes qui l’entourent ? OK, l’être humain a tendance à être très fort dans la médisance et le jugement foireux mais à ce point ?
Néanmoins, il y a un aspect que je trouve intéressant dans Tokyo Kaido. Chaque cas de la clinique est en quelque sorte comme une facette de l’être humain mise en avant.
Hashi est l’être sans filtre, une sorte d’émanation du Ça si cher à ce bon vieux Freud.
Hana, par ses orgasmes impromptus sortis d’on ne sait où, personnifie le rapport à notre corps, à la sexualité, à la gêne et la honte, aux tabous (même si c’est très facile et pas bien subtil pour un personnage féminin…).
Hideo, qui se prend pour un surhumain immortel, est l’enfant qui se voit invincible, notre part innocente qui croit aux monstres, aux extra-terrestres et aux contes de fée, aux histoires qui finissent bien.
Mari, qui ne perçoit pas les êtres humains, est cet être intérieur qui vit dans son propre univers, dans une totale solitude, repliée sur elle-même sans avoir conscience de ce qui l’entoure réellement.
Enfin, celui qui ne se souvient jamais de rien et note tout est une image de la mémoire et de ce en quoi elle permet de construire son identité (et on pourrait sans doute voir en Tamaki un être binaire, mi-homme, mi-femme, en équilibre sur ces deux identités… mais je trouve ça trop binaire, justement, et vu comme le personnage est problématique…).
Hélas, en dehors de Hashi, les autres personnages sont à peine exploités. Hana reste la jolie poupée aux cadrages souvent centrés sur ses cuisses, le rôle de Hideo est peu compréhensible, et Mari ne sert à rien.
Je m’interroge aussi sur l’intérêt de cette clinique qui apparemment ne soigne pas grand-monde. Le seul à qui on propose de faire évoluer son cas, c’est Hashi, pour les quatre autres, absolument rien ne se passe. Il y a sans doute des thérapies, des examens mais rien ne semble bouger, ils sont là pour passer le temps. Quel est donc le but des trois volumes ? Aucune idée…
Certes, il y a le message “Ils sont différents mais ne les rejetez pas pour autant” mais c’est exprimé de manière assez peu subtile, appuyé encore et toujours au fil des dialogues et de la BD créée par Hashi (plus intéressante en soi que le manga en lui-même, d’ailleurs). La question de la solitude est plus intéressante, plus fine. Mais reste très limitée.
Mais au delà des personnages qui ne servent pas à grand-chose, du traitement un peu voyeur d’Hana, de l’histoire sans queue ni tête, le véritable problème reste le développement de Tamaki.
D’un coup le docteur beau gosse largue tout pour vivre pleinement sa vie de travesti et jouer dans un bar dans les quartiers chauds. Pourquoi pas, après tout ?
Sauf qu’on nous assène alors le combo “travesti + gay”, comme si les deux allaient forcément ensemble. Alors que ça n’a aucun rapport et que c’est juste un énorme cliché. Etre attiré par les hommes et aimer se travestir en femme, ce n’est pas spécialement lié !
Mais surtout on nous ajoute là-dessus des tendances pédophiles – le médecin quitte la clinique pour éviter de finir par déraper avec ses jeunes patients… – et on a droit au pire amalgame liant homosexualité et pédophilie. Sérieusement ??
Histoire d’en rajouter une couche, les nouveaux collègues de Tamaki devenu Belladonna dans son club l’enlèvent dans le but de le soumettre à une fiesta SM (je rappelle que le principe fondamental du BDSM, c’est quand même la notion de consentement, à la base)…
Et on termine par une sorte de happy end “Mes anciens patients m’ont appris qu’il fallait s’accepter dans ses différences”, rendant alors “acceptables” son attrait pour les jeunes garçons.
Vous le sentez le gros malaise, là ?
Bref, tout ce qui est lié à la sexualité et au genre est totalement foiré, empli des pires clichés et des préjugés les plus puants. Clairement un domaine que Mochizuki ferait mieux de laisser à d’autres…
A partir de là, difficile d’apprécier cette lecture : le côté barré du récit est vraiment complexe à suivre et les “maladresses” énormes énoncées ci-dessus cassent totalement l’ensemble.