Volume unique par Lisa Mandel et Yasmine Bouagga, édité par Casterman en janvier 2017, 166x197mm, 304 pages, 18,00€.
En 2015, Casterman lance une nouvelle collection, Sociorama, dirigée par la dessinatrice Lisa Mandel et la sociologue Yasmine Bouagga. Chaque volume s’intéresse ainsi à une étude d’un·e sociologue dont le travail sera adapté et mis en image par un·e dessinateur/trice. Parmi les parutions, un premier Hors-série “Terrain” propose une immersion dans le quotidien des migrants à Calais et dans d’autres camps en France.
Pas de fictionnalisation d’une étude sociologique ici mais un journal de bord. De février à octobre 2016, Lisa Mandel et Yasmine Bouagga sont allées directement au contact des migrants, des bénévoles, des ONG, des CRS pour observer la vie au quotidien dans des conditions souvent “difficiles” (doux euphémisme…). D’abord publiés sur un blog hébergé sur LeMonde.fr, ces instantanés nous apprennent ce qu’on ne peut savoir qu’en étant au contact direct des personnes, loin des caméras de TV dépêchées pour servir la communication officielle.
On découvre ainsi les débuts des camps, d’abord à Sangatte, puis à Calais, la création de la fameuse “jungle”, le travail des associations, mandatées par l’Etat pour certaines, les changement de traitements au fil des mairies successives. Le but n’est pas de porter un jugement mais d’apporter des informations, de rapporter des faits, des témoignages et simplement de montrer ce qui se passe sous leurs yeux.
Il y a tous ces migrants rencontrés au fil des jours, leurs histoires, leurs espoirs, leurs peurs, leurs souffrances, leur quête d’une vie meilleure quitte à y rester lors d’une énième tentative de passage en Angleterre.
Il y a ces bénévoles, ces militants et ces riverains qui tentent d’aider, avec les moyens du bord. Ces autres riverains qui ne comprennent pas et face à leurs propres difficultés quotidiennes, se voient proposer des boucs émissaires pratiques.
Il y a toute cette vie qui s’organise envers et contre tout, malgré la météo foireuse, la boue, les feux, les risques de violences policières, les rixes entre nationalités, les mafias qui s’installent, les faux espoirs, les vraies bonnes nouvelles, etc.
Au fil des multiples histoires que les deux autrices racontent, on mesure mieux l’extrême complexité de cet univers qui ne fait les gros titres que dans les drames. Rien n’est manichéen avec des gentils d’un côté et des méchants de l’autre. L’humain dans toute sa complexité avec ses espoirs, ses colères, ses erreurs, sa naïveté, son cynisme.
Et puis bien sûr, Lisa Mandel, qui nous a déjà prouvé avec par exemple HP qu’elle savait mettre en image la complexité d’un contexte polémique, le fait ici encore avec beaucoup d’humour, d’auto-dérision, simple observatrice d’une tragi-comédie du quotidien, avec ses héros et ses connards, ses belles histoires et ses récits sordides, cette énergie sans cesse renouvelée.
Pas de jugement (autre que des réactions épidermiques face à des situations injustes) ou de bonne morale donc, juste des instants de vie, des histoires, des rencontres sans parti-pris, sans angélisme ou complaisance. On passe de Sangatte à Calais sans oublier Stalingrad à Paris ou le camp de Grande Scynthe, les CAO paumés au milieu des campagnes, les aires d’autoroute où les camions vers l’Angleterre portent les rêves de nouvelle vie pour des milliers d’Érythréens, de Syriens, de Soudanais, d’Irakiens, d’Afghans, etc.
Quelques instantanés, quelques jours d’une histoire qui continue encore aujourd’hui, au gré des drames, des démantèlements, des rétentions, des lois qui durcissent chaque fois un peu plus une situation déjà insupportable…