Volume unique par Paco Roca, édité par Delcourt en mars 2007, réédité en janvier 2013, 202x264mm, 112 pages, 15,50€.
Il y a un an, je faisais ici la chronique de La maison, une BD de Paco Roca, et on m’avait alors parlé d’une autre de ses œuvres, Rides, datant de 2007 et adaptée depuis en film d’animation par Ignacio Ferreras sous le titre La tête en l’air, titre sous lequel elle a été rééditée en 2013, avec une petite préface de Jirô Taniguchi.
Ernest ne s’en rend pas vraiment compte mais il a de plus en plus d’absences. Il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Son fils finit par le placer dans une maison de retraite où il fait la rencontre d’Emile, son camarade de chambre, et des autres pensionnaires. Il va devoir se faire à cette nouvelle vie en communauté…
Ce qui m’avait marquée dans La maison, c’était la justesse et la sensibilité dont faisait preuve Paco Roca pour mettre en scène cette histoire de fratrie qui se réunit autour de la maison familiale après la mort de leur père. Et on retrouve ce même ton dans La tête en l’air.
Ernest est malade, même s’il n’en a pas conscience. Son fils épuisé face à ses crises le place. Ayant perdu tous ses repères, se retrouvant comme un enfant lors de son premier jour de classe, le vieil homme doit accepter ce changement radical de vie, sans vraiment le comprendre. Si la résidence qui l’accueille est plutôt agréable et bien gérée, si ses nouveaux camarades sont assez sympathiques, il n’en reste pas moins que les journées sont longues et désœuvrées. Pas grand-chose à faire à part s’avachir devant un énième reportage animalier à la télévision ou simplement s’asseoir dans le salon en attendant le prochain repas. Que faire d’autre quand de toute façon, la mémoire ne joue plus son rôle ? A quoi bon lire quand les mots perdent leur sens, quand on ne se souvient plus du dernier paragraphe ?
Car Ernest, malgré toute sa bonne volonté et celle de son nouvel ami Emile, s’enfonce de plus en plus dans sa maladie. Il ne sait plus vraiment s’habiller, il oublie beaucoup, se perd…
On pourrait croire que face à un tel thème, la lecture serait lourde, déprimante. Mais Paco Roca sait trouver l’équilibre entre la légèreté et la gravité, la chaleur des relations humaines et la violence sourde de la vieillesse qui enfonce l’être au plus profond de lui-même, dans une solitude que rien ne peut combler. Il parvient à nous faire rire devant l’égoïsme bourru d’Emile, fier de clamer qu’il ne s’est jamais attaché à rien ni personne et ne peut donc pas être déçu ni triste de perdre quelqu’un, même si au fond il n’attendait que ça.
Et puis il y a énormément de tendresse face à ces personnes âgées qui tentent de trouver leur place dans un monde qui continue d’avancer sans eux. Face à ce couple ensemble malgré la maladie, l’oubli, le regard fixe, l’indifférence de l’autre déjà parti très loin. Face à cette dame qui refuse d’être seule, à cette autre qui cherche toujours à trouver le positif dans un quotidien morne, à cet homme qui ne cesse de répéter en boucle comment il a obtenu cette médaille… Face à ces vies qui s’effacent petit à petit.
Paco Roca sait trouver cet équilibre entre chaleur, tendresse d’un côté, et réalité froide et crue de l’autre. Il n’édulcore pas la maladie et ses effets, les conséquences de la vieillesse, mais il ne cherche pas le tire-larmes, restant très sobre et glissant juste des détails par ci par là pour signifier sans avoir besoin de souligner lourdement. Il explore avec douceur et délicatesse cette dernière étape de vie, ces derniers moments vécus avec plus ou moins de conscience. Beau, drôle, émouvant, touchant et juste.