Volume unique par Neil Gaiman, Gabriel Bà et Fàbio Moon, édité en VF par Urban Comics en mars 2017, 187x282mm, 72 pages, 13,00€.
J’ai longuement hésité avant de repartir avec Comment aborder les filles en soirées, une des dernières sorties Urban Comics, et ce ne sont que les noms des auteurs qui m’ont poussée à tenter le coup.
Années 70 à Londres. Vic et Enn, deux ado de 15 ans, vont à une fête organisée par une amie. Ou du moins, Vic pousse fortement Enn à y aller alors que ce dernier ne se sent pas du tout à l’aise en compagnie de la gente féminine à laquelle il ne comprend rien. Mais cette fête n’est pas comme les autres…
Je ne connaissais pas la nouvelle de Neil Gaiman de 2006 que Fàbio Moon et Gabriel Bà ont adaptée ici (mais vous pouvez la lire en anglais sur le site de Neil Gaiman ce qui permet de se rendre compte que l’adaptation est très fidèle). Mais le nom des trois auteurs m’a fait penser que je risquais assez peu de me trouver face à un manuel dessiné digne des pires PUA (Pick-up Artist, des mecs qui se prennent pour des dieux de la drague et qui donnent des techniques toutes plus misogynes les unes que les autres pour coucher).
De Neil Gaiman, je n’ai lu jusque-là que son roman American Gods, que j’ai trouvé sympathique mais pas inoubliable et j’ai son roman De bons présages écrit avec Terry Pratchett à découvrir également. Des frères Moon et Ba, j’ai apprécié L’aliéniste et Daytripper et ai encore Deux frères à explorer. Tout ça donne quand même plutôt confiance…
Et au final… J’ai été très surprise. La lecture est plutôt courte, 70 pages, mais rien que les dessins et les couleurs sont absolument parfaites. C’est beau, explosif, expressif et rien que pour ça, ça vaut largement le coup d’œil.
Quant à l’histoire… On a deux adolescents, Vic le beau gosse à l’aise avec les filles, qui finit immanquablement avec la plus belle de la fête dans les bras, et Enn, moins gâté par la nature, timide et terminant toujours à côté de la table des boissons pour occuper son temps.
Pas de conseils de drague foireux ici, le seul conseil donné étant “parle leur” ce qui a priori est plutôt pas mal pour faire la connaissance de quelqu’un, mais c’est par les yeux d’un adolescent mal à l’aise et un brin envieux de la réussite de son pote qu’on découvre l’histoire. Même si pour une fois il tente quand même de parler aux quelques filles qu’il rencontre et que le résultat est pour le moins surprenant.
Je ne savais pas comment était la nouvelle d’origine et si elle est aussi “ambiguë” que cette adaptation sur son style, dans le sens où, sans trop en révéler, la compréhension de ce qui se passe est totalement différente si l’histoire appartient au style fantastique ou pas.
Les filles qu’Enn rencontre et avec qui il entame la conversation ne sont clairement pas ordinaires : leur discours n’a rien de celui d’une fille d’une quinzaine d’années. On peut l’interpréter de deux manières à mon sens.
La manière littérale où ces jeunes filles ne sont effectivement pas ordinaires et viennent de bien plus loin que la ville d’à côté ou même un autre pays. De vraiment très TRÈS loin.
Et la manière imagée où toutes les filles sont pour Enn venues d’une autre planète. Jeune homme en prise avec ses hormones et sa timidité, il ne parvient pas trop à les comprendre et a l’impression qu’elles n’ont rien en commun avec lui, matures bien plus vite, jeunes adultes sachant tout alors que lui n’est qu’un môme de 15 ans incapable de se sentir à l’aise avec elles. Maladroit, insignifiant, quelconque, il galère à leur parler car il n’a rien à leur dire contrairement à elles.
A partir de là, quand les filles de la fête parlent, il tente de les écouter mais ne comprend rien, parvenant simplement à balbutier des banalités sans réellement saisir ce qu’elles lui expliquent. D’où un possible décalage entre ce qu’elles peuvent dire en réalité et ce qu’il imagine, faisant de ses interlocutrices des femmes savantes d’un autre univers, si extraordinairement éloignées de lui. Il les imagine d’une autre planète alors il ne les comprend pas.
Ces deux manières de voir les choses sont plutôt plaisantes à imaginer et ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Et la façon dont les deux dessinateurs adaptent cette nouvelle à quelque chose d’assez envoûtant.
De plus, ce retour sur ce moment de l’adolescence où la rencontre avec l’autre est aussi excitante que terrifiante est ici présenté sans accès de nostalgie douceâtre qui embellirait un moment de la vie pas forcément très agréable pour celui ou celle qui l’a vécu. Stress, fascination, incompréhension, maladresse, tout y passe.
Au final, je ne sais toujours pas trop quoi penser de cette histoire. Graphiquement splendide, scénaristiquement surprenant, ce récit d’une fête d’ado pas ordinaire mérite en tout cas d’être lu.
A noter que la nouvelle est en cours d’adaptation cinéma avec Nicole Kidman et Elle Fanning sous la direction de John Cameron Mitchell.