Volume unique par Catel, édité par Grasset en novembre 2013, 160x220mm, 336 pages, 22,00€.
Le 20 juin 2016 est morte Benoîte Groult à l’âge de 96 ans. Ce nom m’évoquait alors vaguement quelque chose et comme souvent, sa disparition devient l’occasion d’en apprendre plus, notamment avec Ainsi soit Benoîte Groult de Catel.
Née en 1920 d’un père créateur de meubles et d’une mère dessinatrice de mode véritable femme d’affaires volontaire et déterminée, Benoîte Groult n’a alors rien dans son éducation qui la pousse au moindre féminisme. Incapable de répondre aux attentes de sa mère exigeant d’elle ce qu’on attendait des femmes à l’époque – répondre à tous les codes classiques de la féminité pour attirer un bon parti et se marier – au contraire de sa sœur cadette, elle sera une jeune fille obéissante voire soumise, plongée dans les livres pour tenter de se soustraire à l’inévitable chasse au mari.
Ce n’est finalement que plus tardivement qu’elle s’engage dans l’écriture puis dans le féminisme, en voyant ses trois filles grandir. Elle se remémore alors son enfance et son adolescence consacrées uniquement à être belle pour passer d’un maître à un autre, du père au mari, même si cela n’a pas empêché sa mère d’être le véritable chef de famille, celle-ci sachant utiliser les obligations sexistes de son époque à son avantage.
Le féminisme de chaque femme qui s’en revendique est le fruit du parcours de vie, des expériences et des rencontres de chacune, ainsi que de son époque. C’est bien pour cela qu’il y a autant de féminismes que de féministes, et que chacune aura ses propres combats et sa propre manière de les mener selon ce qui lui tient le plus à cœur, ce qui lui parle le plus, ce qui lui semble le plus important. Le féminisme a une part intime, individuelle comme une part politique, publique, collective.
Ainsi le féminisme découvert sur le tard par Benoîte Groult est lié aux mots : elle est écrivaine et travaillera notamment à la féminisation de la langue française, tout en publiant des œuvres comme Ainsi soit-elle en 1975, là encore reflet de son époque : bataille pour le droit à l’IVG, pour la reconnaissance des femmes dans la sphère publique, contre les mutilations génitales dont elle est une des premières à parler. Son livre fait sensation, alors qu’on est en pleine révolution sociale, sexuelle, féministe. Même si beaucoup ne veulent pas à entendre parler de ces trucs de bonnes femmes (les réactions de son entourage quand elle leur dit quelle va écrire Ainsi soit-elle sont éloquentes…). Mais le mouvement est en marche, même si Benoîte Groult ne se voit alors pas trop militante du MLF en 1975 (“trop privilégiée dans ma vie personnelle pour avoir le courage de militer” dit-elle dans Ainsi soit-elle).
Pourtant, sa vie personnelle, qu’elle raconte à Catel pour son roman graphique, est celle d’une femme qui a participé à sa manière au changement de société. Mariée trois fois, elle a été veuve puis divorcée d’un homme trop englué dans le machisme de son époque, ne voyant en elle que la boniche qui lui devait tout, allant jusqu’à la sermonner d’oser tomber enceinte (que de filles, qui plus est !!) encore et encore alors qu’il n’y a aucune contraception (les fameuses lois anti-contraception de 1920 n’avaient pas encore été complètement effacées) et que le préservatif ne peut être que l’outil des prostituées. Elle a avorté, plusieurs fois, dans la honte, la douleur et le secret, quitte à y risquer sa vie comme tant d’autres. Ce fameux mariage qui devait être l’objectif de chaque femme n’est alors qu’une cage de plus utilisée pour empêcher une moitié de l’humanité à accéder au monde de l’autre moitié.
Bien évidemment, les 330 pages de cette bio-graphique ne sont pas que sur le féminisme mais cela en constitue la base puisque l’œuvre est née de la rencontre entre Benoîte Groult et Catel, quand cette dernière travaillait sur son roman graphique concernant Olympe de Gouges, première féministe moderne dont le militantisme fut remercié par la guillotine en 1793. L’écrivaine ayant elle-même écrit sur cette illustre précurs-sœur dont la société a tout fait pour effacer le nom des registres de l’Histoire, c’est de cette rencontre autour d’Olympe de Gouges qu’est née une collaboration puis une amitié couronnée par cette BD.
Si je ne me reconnais pas totalement dans le féminisme de cette femme, le récit de sa vie durant un XXe siècle en plein bouleversement éclaire de façon approfondie l’évolution de notre société face à ces questions sociales fondamentales, alors que notre XXIe siècle continue de nous prouver que ce combat est loin d’être terminé et que les droits des femmes restent constamment menacés à la moindre crise.
“N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.” disait Simone de Beauvoir.
Catel ne joue pas non plus la carte de la complaisance en n’omettant pas les paradoxes et les contradictions de Benoîte Groult, sa mauvaise foi, ou ses piques constantes contre la BD qu’elle considère à la base comme de la “sous-littérature”… Ironie suprême quand on devient soi-même le personnage central d’une BD.
Ainsi soit Benoîte Groult s’avère être un récit prenant, souvent drôle, touchant et bourré d’amitié, racontant aussi bien la vie d’une femme que l’évolution d’une société au travers de destins divers. Que ce soit par les souvenirs de Benoîte Groult, les incursions dans sa vie quotidienne en Bretagne ou dans le Sud, le rapport avec ses filles, ce récit dense et riche reste un témoignage fort et passionnant, nuancé et chaleureux.
N’en jetez plus, je me précipite pour acheter cette BD, mais là, juste avant, je fais une pause morte de rire devant les descriptions Amazoniennes qui essayent de toutes leurs forces de ne pas utiliser, oh surtout pas, le mot “bande-dessinée”.
Pour bien enfoncer le clou, on nous informe dans le titre que c’est un “roman graphique (Littérature Française)” (!!) et que Catel est “l’une des figures les plus connues et les plus littéraires du livre graphique en France.”, qui signe des “biographies graphiques”.
Ok, y’a “je n’aime pas la bande-dessinée” écrit sur la couverture, mais là, ils poussent un peu le bouchon du snobisme, je trouve XD
En tout cas, cette BD fera très bien à côté d’Olympe sur es étagères, merci Morgan.