Volume unique par Jung, édité par Soleil collection Quadrants, 170x240mm, 300 pages, 19,99€. Sorti en octobre 2015.
Après avoir raconté son histoire d’enfant coréen adopté et élevé en Belgique dans Couleur de peau : miel, Jung reste sur ce même sujet avec cette fois-ci une fiction, Le voyage de Phoenix.
D’un côté, il y a Jennifer, jeune américaine en quête d’un père disparu, finalement partie travailler dans un orphelinat en Corée du sud pour donner un sens à sa vie. De l’autre, il y a Aron et Helen, en mal d’enfant, qui ont adopté le petit Kim et vont devoir faire face à la pire épreuve de leur vie…
La Corée tient de nouveau une part importante dans cette nouvelle œuvre de Jung. On retrouve le thème de l’adoption avec Aron et Helen qui rentrent aux Etats-Unis avec le jeune Kim. Il devient rapidement le centre de leur univers, quitte à ce qu’Aron délaisse totalement sa fille ado née d’un précédent mariage, Chelsea.
Comme dans Couleur de peau : miel, Jung pose un regard nuancé et un peu ambigu sur ces familles adoptives, pleines d’amour et en même temps toujours en équilibre instable face au défi qu’elles se sont lancés, créer des liens forts avec un enfant à l’histoire si particulière. Comme dans sa précédente série, on voit que l’adoption ne se termine pas quand l’enfant arrive dans sa nouvelle famille mais qu’il y a tout à construire à partir de rien, ou plutôt à partir d’un vide, d’une perte, d’une souffrance qu’il faut alors réussir à dépasser pour que l’enfant trouve sa place et puisse y grandir.
Mais la principale histoire que nous conte ce volume, c’est celle de Jennifer. Travaillant dans l’orphelinat Holt en Corée du sud, elle s’est tout de suite sentie proche de Kim, son histoire à lui faisant comme un écho à la sienne. Son père, militaire américain en Corée sur la zone démilitarisée, a disparu avant sa naissance et le vide qu’il a laissé n’a jamais pu être comblé dans le cœur de la petite fille. Détestée par ses grands-parents maternels, incomprise par sa mère qui refuse de lui raconter cette partie de son histoire, elle grandit avec un sentiment de vide et part aussi bien en quête d’elle-même que de son identité une fois adulte. Tout la ramène à la Corée où le destin d’orphelins et celui de réfugiés du nord communiste vont croiser le sien.
Ces diverses histoires sont belles, fortes et touchants, notamment celle de San-ho, le réfugié nord-coréen au passé absolument terrifiant… mais je ne suis pas certaine de l’intérêt d’avoir mêlé celle d’Aron et Kim avec celle de Jennifer. Cette dernière se suffit largement à elle-même et la fin de l’histoire de la famille agrandie m’est apparue un peu de trop, jouant un peu trop sur le pathos, perdant en cours de route la subtilité qu’on avait pu trouver jusque-là dans l’œuvre.
Cela ne rend pas la lecture mauvaise pour autant. Le trait est toujours aussi maîtrisé, délicat, gracieux, précis et méticuleux. Le propos oscille entre tendresse, amour, drame, où chacun tente de trouver sa place, d’assumer ses erreurs, parfois tragiques, face à une Histoire elle-même lourde et pleine de souffrances et de tristesse, broyant sans état d’âme des individus dont la seule erreur est d’avoir été là au mauvais moment. Tous doivent faire preuve de résilience pour réussir à avancer au delà de ce qu’ils subissent.
Jennifer est dans la quête d’une image paternelle qui complétera son identité tandis qu’Aron se noie dans son rôle de père face à un drame qu’il ne peut supporter. A chacun alors de parvenir à dépasser sa douleur pour reprendre pied avec la vie qui l’attend.
Ces deux histoires de famille avec la Corée comme décor se répondent alors en quelque sorte, entre la Corée du nord dictatoriale et affamée et la Corée du sud, base de départ vers le reste du monde, vers une nouvelle vie à construire.