Volume unique par JP Ahonen & KP Alare, édité en VF par Casterman, 215x304mm, 184 pages, 17,00€. Sorti en mai 2014.
Preuve que le métier de libraire, ce n’est pas que vendre des livres mais aussi conseiller et aiguiller, voici ma découverte d’une BD dont je ne savais absolument rien et achetée uniquement sur conseil d’Agathe de 9e quai, d’un sticker “Coup de cœur” et d’un rapide feuilletage qui me donne envie de voir ce que ça vaut. Et on ne lit pas de la BD finlandaise tous les jours…
Perkeros, c’est le nom du groupe de métal mené par Axel. Il est censé être étudiant mais ne met plus guère les pieds à la fac, passant ses jours et souvent ses nuits à travailler ses compositions, écrire, répéter, croire en un avenir pour sa musique, malgré les remarques de plus en plus désabusées de sa compagne Julie qui voit juste son mec foutre sa vie en l’air. Il faut dire que si musicalement et techniquement, Perkeros tient largement la route, côté chant (et grognement, c’est du métal tout de même !), on est plus proche, je cite, “de gargarismes avec bouillie chaude”. Sans doute que la voix bégayante d’Axel est encore un peu trop d’avant-garde…
Pas besoin d’être fan de métal (c’est loin d’être mon genre préféré) pour plonger avec bonheur dans Perkeros. Très vite, on sympathise avec les personnages : Axel, l’intègre meneur totalement complexé et bouffé par le trac mais passionné, Lily aux claviers, la bosseuse au caractère bien trempé, infographiste à ses heures perdues, Kervinen le vieux bassiste aux faux airs de druide échappé de Brocéliande, hippie new age accro aux yoga et à l’ouverture de ses chakras, toujours à ressortir ses vieux souvenirs de tournées avec les Doors ou les Who, ou l’Ours, l’imposant et poilu batteur qui mériterait un album muet à lui tout seul tellement ses attitudes et mimiques sont tordantes. Et n’oublions pas Aydin, immigré turc qui sous ses airs candides de “moi pas très bien parler le finnois” décoche des trésors d’ironie bien trouvés.
Car la première composante de Perkeros, c’est l’humour, simple, efficace, direct, entre les taquineries des uns et des autres, les dialogues bien tournés, les situations totalement foireuses d’un groupe dont on ne sait pas s’il restera planqué à vie dans sa buanderie de sous-sol pourrie ou s’il explosera un jour à la lumière… lumière de la pleine lune, on reste quand même dans de la musique torturée et bien sombre.
Mais au delà de la bonne petite ambiance pleine d’amitié et de chaleur, il y a aussi la question du choix de vie. Axel veut se consacrer à la musique, sans vouloir s’interroger sur son avenir, les remboursements de ses prêts étudiants, le futur de sa vie de couple avec la sage Julie, qui a troqué ses rêves de rockeuse de ses années lycéennes pour le quotidien bien tranquille et raisonnable d’une étudiante en économie pragmatique. Inutile de préciser que ces deux-là ont du mal à synchroniser leur emploi du temps et que même si Julie tient à encourager et soutenir son mec dans sa passion, elle a ses limites, notamment titillée dans sa jalousie par l’omniprésence de la précieuse Lily. Leur vie à deux est donc compromise surtout avec Axel totalement possédé par le démon de la musique…
Et je ne parle pas de démons sans raison. Car ce qui commence comme une BD totalement basée sur le quotidien ordinaire de jeunes finlandais passionnés prend petit à petit des allures d’aventure plus mouvementée face aux pouvoirs illimités de la musique, prenant sa force dans tout ce qui nous entoure et vibre constamment, permettant d’obtenir une puissance manipulatrice aussi fascinante que dangereuse.
On passe alors des petites salles de concert à une méga baston dans un coin reculé, aux prises avec des forces venues du fond des âges. Et tout ça… en restant parfaitement cohérent, puissant sans en faire trop.
Le dessin est aussi un gros point fort, terriblement attachant, totalement maîtrisé, apportant une énergie phénoménale à l’ensemble. On a finalement assez peu de scènes de concert et c’est sans doute aussi bien tant ces passages sont dynamisants et électriques, avec une mise en scène explosive, des plans hypnotiques, une énergie dévastatrice. Et les quelques scènes de baston ne sont pas en reste. Le tout servi par une mise en couleurs parfaite, principalement avec des teintes rougeâtres et parfois plus vertes, alimentant l’ambiance au fil des ressentis tourmentés ou un peu paumés d’Axel, le côté un peu végétal mystique de Kervinen, etc.
Bref, on a avec Perkeros un mélange parfait d’originalité, d’aventure, de quotidien, de musique, d’énergie, de questions, de passion et d’humour qui donne un album attachant et prenant méritant largement qu’on s’y intéresse.
Et j’ai cru comprendre sur leur page FB que les auteurs sont en train de travailler sur la suite. Oh la bonne nouvelle !
(Et parce que moi, je suis une dure, je vous mets directement des images en finnois !! Ouais !! Non en fait, je ne voulais pas abîmer le volume en le scannant donc les images viennent directement du site de JP Ahonen).