Série en cours par Aurélia Aurita, 1 volume paru sur 3 aux Impressions nouvelles.
145x210mm, 144 pages, 15,00€.
Voilà déjà quelques années que je suis le travail d’Aurélia Aurita aux Impressions nouvelles, avec la lecture de Fraise et chocolat 1 et 2, Je ne verrai pas Okinawa et Buzz-moi. J’aime sa manière de parler des choses, fussent-elles très crues, sans faux-semblant, sans hypocrisie, avec une fraîcheur et une sincérité touchantes. J’aime son trait lui aussi direct et efficace, tour à tour énergique et poétique. Je ne pouvais donc qu’être intéressée par sa nouvelle création, LAP ! Un roman d’apprentissage.
À l’heure où il est de bon ton de fustiger notre système éducatif, Aurélia Aurita nous invite à découvrir le Lycée Autogéré de Paris, autrement dit, le LAP. Un établissement comme il en existe peu, dont les maîtres-mots sont autogestion – les profs et les élèves s’occupent de tout ensemble – et libre fréquentation – présence aux cours non obligatoires car l’apprentissage se fait selon la validation d’UV que les élèves gèrent eux-mêmes, à leur rythme. Aurélia va y passer un an en tant qu’observatrice, rôle qui va rapidement la dépasser vu qu’elle va tomber amoureuse des lieux, de l’ambiance, de l’équipe. Elle qui a jusque-là plutôt sorti des autobiographies va dans sa première BD-reportage s’impliquer malgré toutes les limites ou les mises en garde qu’elle pouvait se donner et prendre une part active dans ce qu’elle va voir, nous livrant donc plus un témoignage vivant qu’une simple observation.
Devant elles, des jeunes ne supportant plus le système traditionnel et ses règles très contraignantes, sa course aux notes, son exigence et sa difficulté à accepter tous les profils d’élèves. Tous ne trouveront pourtant pas leur place au LAP, devant comme tout lieu de vie avoir certaines règles et limites à ne pas franchir pour ne pas totalement sombrer dans le chaos. Et ces quelques obligations ne sont pas toujours comprises par tous. Mais là où le système traditionnel rejette facilement toute différence, l’équipe du LAP creuse un peu plus, quitte à faire trembler quelques lignes, générant des tensions, des prises de gueule, des questions existentielles qui poussent à interroger leur “utopie”.
Tout n’est donc évidemment pas rose et si Aurélia est sous le charme, elle ne cache pas pour autant les doutes, les colères, les ras-le-bol, les difficultés, la démotivation parfois, la difficulté de certains à trouver leurs marques, à accepter de se laisser bousculer dans leurs certitudes, leurs a priori, leurs attentes.
Ce volume retrace les deux premiers mois d’Aurélia, arrivée en mai, suivant les différentes commissions décider du sort des élèves les plus difficiles, interrogeant ceux qui ont pu se révéler et découvrir une voie qui leur correspond grâce à cette alternative scolaire, assistant aux sélections d’entrée des prochains arrivants, partageant le quotidien de jeunes que le système classique n’a pas voulu et qui ont là la possibilité de comprendre et d’assumer une place dans une société plus diversifiée et multiple que ne le laisse concevoir l’enseignement traditionnel.
Le trait d’Aurélia Aurita est toujours aussi agréable, simple, franc, particulièrement efficace, semblant si spontané tout en parvenant à faire ressentir tout le travail de recherche, de développement de la narration et de la mise en image qu’il y a derrière.
L’ensemble est particulièrement prenant, authentique, touchant, pas du tout manichéen et la dessinatrice ne cherche ni à juger ni à moraliser quoi que ce soit, s’impliquant au travers de ce qu’elle veut faire passer, une énergie, un volontarisme, une passion qui se dégage de chaque page. Tout n’est clairement pas facile et sans problème dans ce LAP, établissement où l’humain passe avant les résultats, sans angélisme béat mais également sans préjugé stérile. Le but est de laisser sa chance à qui est prêt à la saisir, en responsabilisant chacun sans culpabiliser.
C’est un véritable apprentissage de la vie en société qui nous est présenté là et cela interroge forcément le lecteur, aussi bien sur son propre rapport à l’école, à l’enseignement, mais également à la démocratie, aux limites qu’il faut savoir établir sans perdre de vue la diversité et l’individualité de chacun, en acceptant de prendre en compte avant tout l’humain et ses multiples facettes.
Ce volume tout à fait réussi est le premier d’une trilogie, dont la suite est à paraître en 2015 et 2016. Le résultat est en tout cas brillant, porteur de sens, attachant, dégageant énormément de tendresse, de chaleur et d’apaisement.
Page du volume sur le site de l’éditeur – Interview d’Aurélia Aurita sur Bodoï