Volume unique par Wilfrid Lupano et Rodguen, édité par Delcourt, 280x180mm, 128 pages, 17,95€.
Sorti en septembre 2013.
Ma révérence est de ces BD que je n’aurais jamais ouvertes par simple hasard. Certes, la couverture m’avait un peu tapé dans l’œil mais je n’aurais pas été plus loin sans les conseils d’Agathe la libraire qui m’a convaincue en quelques mots.
Ma révérence, c’est l’histoire de Vincent, jeune trentenaire banal, sans doute encore un peu trop idéaliste face à un monde qui sait écraser toutes les ambitions. Un mec issu d’une famille de la classe moyenne apparemment sans histoire même si sa grand-mère portait sur ses épaules un sale petit secret du genre à peser lourdement sur une conscience. Un gars banal donc mais ne sachant pas trop quoi faire de son existence, ne voyant guère ce qui peut se cacher derrière l’expression “réussir sa vie”. Son errance en Afrique, sans doute en réponse à ce fameux passé familial foireux, modifie alors pour toujours ses priorités. Il se découvre très lâche quand la réalité écrabouille sans pitié son idéalisme, révélant une trouille de la moindre responsabilité dans l’esprit d’un jeune gars qui n’a jamais trop pris le temps de s’imaginer un avenir.
De retour en France, par hasard, il fait des rencontres. Celle d’un convoyeur de fonds, malheureux, traumatisé par une vie mal commencée qui n’a fait qu’enchaîner les foirages qui le bouffent petit à petit. Et celle de Gaby Rocket, seul rescapé des années yéyé avec ses santiags et sa banane crasseuse, loser accompli, con fini, qui n’a pas son pareil pour se faire des ennemis, se prendre des roustes, enchaîner les conneries et déblatérer les préjugés les plus puants sans se poser la moindre question. Deux rencontres qui vont changer la vie de Vincent et lui faire miroiter une porte de sortie de sa vie minable : braquer le fourgon du premier avec l’aide du second, malgré tous les risques que sa connerie congénitale fait peser sur l’aventure. Surtout quand on débute dans le grand banditisme. Mais aux yeux de Vincent, voici le seul moyen envisageable pour retrouver l’amour de sa vie…
Ma révérence, c’est la rencontre de gars plus ou moins cassés par la vie dont le destin va basculer au delà de tous les plans foireux envisagés. Au fil des pages, Vincent nous raconte son histoire, nous dévoile le fil de ses pensées, comment il en est arrivé à imaginer un truc aussi clairement casse-gueule. La narration est habile, sachant gérer le mélange des récits de vie sans perdre en unité et en cohérence. L’histoire commence alors avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision, notamment dans les dialogues, plutôt percutants dans leur manière de présenter les personnages.
Mais derrière ces gueules qui pourraient n’être que des pantins vides et superficiels, monolithiques dans leur bêtise ou leur médiocrité, les auteurs parviennent à dévoiler avec beaucoup de pudeur et de sensibilité leurs états d’âme bien loin de l’image de gros durs qu’ils peuvent vouloir se donner. Que ce soit Bernard le convoyeur de fonds ou Gaby le rebelle ringard, tous deux cachent derrière leur air blasé, leur grande gueule ou leur indifférence une peur totale d’aimer, dépassés par leurs émotions que personne ne leur a jamais appris à montrer et assumer.
Vincent assiste, observe et malgré tous ses efforts, ne pourra jamais vraiment prendre part à ce qu’ils doivent gérer seuls face à eux-mêmes. Quitte à se prendre les pieds dans le tapis et se planter comme une merde au milieu de la route.
Ce qui commençait comme le récit d’un braquage foireux par deux losers diamétralement opposés, un trentenaire idéaliste et plein de bonne volonté mal ajustée et un cinquantenaire aigri et blasé, se transforme alors au fil des pages. D’abord en aventure totalement bancale de bandits en herbe totalement à l’ouest, hilarants de maladresse et de mauvaise foi assumée. Puis en une introspection de vies d’individus un peu largués, rendus attachants au fur et à mesure qu’on apprend et comprend ce qui a pu les pousser à telle ou telle décision. Le récit se fait alors poignant, touchant, bourré de tendresse et de chaleur entre paumés de la vie qui finissent par trouver leur propre chemin, au delà des idées de grandeur et des apparences glorieuses, comprenant ce qui est vraiment important, acceptant ce que la vie peut finalement leur offrir de mieux, simplement.
Ma révérence, c’est finalement une belle histoire, de belles rencontres qu’on n’aurait pas pu imaginer au départ, pleines d’humanité, de tendresse, d’humour et d’espoir.
Sympa la chronique, elle donne vraiment envie de lire l’album et de savoir comment ça va finir avec cette équipe de bras cassés !