Roman d’Alain Damasio, disponible en version brochée chez La Volte, 28,40€ avec CD de la BO du livre, en version poche chez Gallimard, 9,95€.
Je n’ai jamais écrit sur un roman, un exercice encore plus difficile que pour un manga. Ma dernière tentative doit dater des fiches de lecture au collège, un classique des cours de français…
Mais comment ne pas crever d’envie d’écrire sur CE roman, même si les mots seront maladroits, dérisoires et ne sauront rendre réellement le plaisir ressenti à chaque page avalée avec fébrilité… Car oui, j’ai reçu il y a quelques mois une belle claque, de ces claques qui m’ont rappelé le bonheur infini de se gaver des mots d’autrui à s’en déchirer la rétine, à en perdre la notion du temps, à oublier ses obligations qui deviennent alors de véritables corvées vu qu’elles demandent à ce qu’on abandonne le volume quelque temps. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à avoir apprécié, puisque j’ai cru lire que les ventes avaient dépassé les 100 000 exemplaires.
C’est par Twitter que j’en entends parler pour la première fois, conseil de lecture d’un amateur de SF qui promet un beau moment de découverte pour peu qu’on accepte une histoire hors des sentiers battus. Voilà bien des années que je ne me suis pas plongée dans de la SF, je ne risque de toute façon pas de me sentir le moins du monde blasée. Aucun a priori, aucune habitude de lecture, l’invitation est d’autant plus tentante.
Me voilà alors lancée à la découverte de La Horde du Contrevent d’Alain Damasio. Un bon gros pavé de 700 pages (en poche en tout cas) qui a déjà pour originalité d’être folioté à l’envers, nous proposant comme un compte-à-rebours au fil de la lecture. Les fans de manga ne seront pas totalement dépaysés même s’ils ont quand même intérêt à lire le volume dans le bon sens malgré tout 🙂
La Horde du Contrevent, comme le dit d’ailleurs le quatrième de couverture, c’est un livre-univers, une plongée totale dans un monde plutôt désolé balayé sans cesse par le vent. Un vent étudié sous tous les angles par l’Hordre et les ærudits pour en découvrir les secrets, comme ses 9 formes, qui diffèrent par leur intensité, leur texture, leur rythme, leur direction, leur dangerosité, etc. Le plus violent jusque-là recensé étant le furvent, la 6ème forme, un enfer qui rase les villages et dépiaute les humains trop lents pour s’en protéger. Sauf si ces humains appartiennent à la Horde, dont l’objectif est d’atteindre le mystérieux Extrême-Amont, censé révéler la source des vents et en permettre le contrôle afin de donner une vie meilleure où on ne risque pas d’y rester à la moindre tempête.
La Horde que l’on découvre ici est la 34ème, dont les 23 membres ont été pour certains entraînés dès leur plus jeune âge pour mener à bien cette quête entamée voilà huit siècles durant lesquels de nombreux hordiers ont donné leur vie pour permettre peut-être un jour à leurs successeurs de réussir là où ils auront douloureusement échoué.
Une Horde, c’est d’abord un Traceur, un meneur, un dur, un pugnace : ici, le massif et inébranlable Golgoth, neuvième de sa lignée, plus borné qu’un troupeau de mules, totalement sourd à la douleur, adepte de la ligne droite aussi dangereuse soit-elle. On ne contredit par le Golgoth sans y risquer sa peau. Il ne vit que pour contrer le vent, sans aucune crainte de la mort.
Ce Traceur peut compter sur son équipe et d’abord, son Fer, composé de Firost le fidèle pilier, Erg le protecteur-combattant surentraîné, Pietro le prince à la noble âme, Talweg le géomaître pointilleux, Sov le scribe prometteur.
Puis le Pack, l’humble autoursier, Steppe le botaniste jusqu’au-boutiste, Arval l’éclaireur toujours joyeux, le fier fauconnier, les frères Dubka insouciants ailiers, Oroshi l’aéromaîtresse infaillible, Alme la douce soigneuse maternelle, Aoi la fragile cueilleuse, Caracole le troubadour agité, Larco l’indispensable braconnier du ciel, Léarch l’habile forgeron, Callirhoé la feuleuse au fort caractère, Silamphre le musicien expert du bois.
Et enfin les trois crocs, tractant les traîneaux de matériel, Coriolis, Sveziest et Barbak.
Beaucoup trop de personnages à assimiler d’un coup ? Tout à fait. Mais pas besoin de le faire de toute façon, l’auteur utilisant un moyen simple pour nous permettre de comprendre. Chaque personnage a un symbole qui le représente – par exemple ) pour Sov ou π pour Pietro – et cela permet de suivre l’avancée de l’histoire au fil des récits de chacun, les paragraphes débutant par le symbole de celui qui raconte (merci au marque-page recensant chaque symbole, très utile en début de lecture). Cela donne tout de suite beaucoup de rythme, permettant plusieurs points de vue sans jamais se perdre tout en nous faisant découvrir chaque personnage au fil de ses pensées, le langage qu’il utilise étant très représentatif de son caractère. Impossible par exemple de confondre le discours très cru et brut de décoffrage de l’ombrageux Golgoth et celui très coloré et jouant avec les mots de Caracole.
Les premières pages sont évidemment un peu perturbantes à suivre, vu qu’on saute directement dans une Horde où chacun se connaît (presque) parfaitement, le lecteur étant le nouveau-venu qui doit s’intégrer très vite sans espérer de traitement de faveur pour l’aider. Surtout que l’on débute la quête alors qu’un furvent s’annonce, un bien violent qui promet de belles envolées mortelles si on ne contre pas correctement, dans les règles de l’art. Et ça pousse, ça s’accroche, ça contre de tout son corps, de toutes ses tripes, de toute son âme, nous permettant très vite de saisir la dureté de ce monde qui ne fait aucun cadeau. De saisir également la foi des hordiers en leur mission, véritable obsession dont aucun ne sait pourtant réellement ce qui les attend au bout d’un chemin inconnu, ainsi que la force de la Horde où chacun a un rôle bien précis, où tous sont liés pour la vie même s’ils peuvent disparaître à la moindre petite erreur. Un lien insaisissable mais indispensable, au delà des engueulades, des conflits et des désaccords, inévitables face aux nombreux obstacles qu’ils rencontrent.
La quête sera longue, passionnée, mettant à l’épreuve aussi bien le courage, l’habilité, l’intelligence et la persévérance de la Horde que nos nerfs. Chaque mot claque, fuse, déroute, apprend, surprend, bouleverse, amuse, apeure, intrigue, mélangeant combats féroces, contres hargneux, dilemmes insolubles, décisions impossibles, morts insurmontables. Alternant violence, peur, courage, pure beauté de paysages abrupts, insolites, mortels, poésie absolue, jeux de mots déroutants.
Car l’auteur joue des mots constamment, en inventant des nouveaux, donnant rapidement la sensation au lecteur qu’il n’est définitivement pas en terrain connu. La lecture est alors un peu exigeante, au départ, mais très vite, le frisson du contre, l’excitation de la quête prennent le dessus et embarquent, au fil des rencontres, des défis jamais relevés, grâce à cette Horde unique en son genre, remplie de fortes personnalités qu’on apprend à découvrir dans leurs pensées les plus intimes, dans les conditions les plus extrêmes.
Le récit est beau, fort, totalement prenant, bourré d’originalité, inventif, coloré, joyeux, cru, rythmé, émouvant, sans aucun temps mort. Les 700 pages s’avalent sans répit, donnant l’impression de suivre des vies entières, des aventures toujours différentes, au fil des leçons personnelles qu’ils apprennent tous, dans cette quête initiatique où le chemin est évidemment plus important que la destination.
Une claque littéraire, qui prend aux tripes, fascinante, intrigante, complète, sans arrière-goût foireux, sans déception. Chaque petite brise, le moindre brin d’air qui nous chatouille le visage prend ensuite une toute autre saveur…
La version brochée chez La Volte est fournie avec un CD de la BO, composée par Arno Alyvan.
À noter également qu’une adaptation en film d’animation 3D est en cours de production, prévue pour une sortie en 2015. Pour peu qu’on puisse adapter ça…
La terre est bleue comme une orange, Morgan.
Bleue comme une orange.
La Horde du Contrevent est un livre extraordinaire.