Volume unique par Rubén Del Rincón et Manolo Carot, éditée en VF par les éditions du Long Bec, sorti en mai 2018, 295x220mm, 208 pages, 32,00€ le volume.
C’est sur les conseils (souvent avisés) de la libraire de Momie Annecy que je me suis laissée tenter par l’impressionnant volume d’El Boxador, des auteurs espagnols Rubén Del Rincón et Manolo Carot aux éditions du Long Bec.
Deux champions vont s’affronter sur le ring. D’un côté, Rafa, la machine de guerre, l’animal insubordonné parti de rien qui s’est fait un nom par la force de ses poings et l’agressivité de ses propos. De l’autre, Hector l’athlète à la technique parfaite, managé par un père sportif de haut niveau. Deux mentalités, deux parcours, deux destins.
Cette BD est un objet esthétique en lui-même. Format à l’italienne, bichromie noir et rouge, mise en page originale : selon le côté par où on la commence, on suivra le parcours soit de Rafa soit de Hector, chacun mis en scène et dessiné par un des deux auteurs. Avec au milieu la rencontre, le combat, le coup fatidique.
Chaque histoire commence par la fin du combat puis remonte quelques années en arrière dans la vie d’un des deux adversaires pour nous raconter leur parcours respectif.
D’un côté, Rafa, sans un sou mais la rage au cœur, prêt à tout pour se faire un nom. Il ne recule devant rien et est incapable de se contenir face à ses objectifs. Animal sauvage prêt à ruer dans les brancards au moindre soubresaut qui pourrait le menacer, sans jamais se soucier des conséquences.
Puissant, ne croyant qu’en la force brute malgré ses autres talents qu’il se borne à négliger, il n’a peur de rien et c’est là son plus grand défaut.
Le trait qui le met en scène, celui de Rubén Del Rincón, est tout aussi puissant, rageur, explosif, défonçant tout sur son passage.
De l’autre, Hector, le beau gosse, le bourgeois qui vit dans l’ombre de son père, grand sportif à la carrière olympique et au caractère tyrannique. Un gamin qui n’a fait qui suivre la voie qu’on avait tracée pour lui, jusqu’à ce qu’il découvre la boxe, sa première décision propre. Pour se trouver, pour s’affirmer, pour exister par lui-même. Tout semble avoir toujours été facile pour lui mais il a surtout beaucoup serré les dents et encaissé la violence notamment psychologique et la pression que son irascible paternel a toujours exercées sur lui. La boxe est alors un premier pas vers son autonomie, sa liberté… Mais dans le milieu du sport de haut niveau où l’argent est roi, a-t-il vraiment une chance de s’émanciper des délires de grandeurs de son père ?
Il va enfin pouvoir apprendre la douleur qui accompagne chaque décision que l’on prend malgré tous les risques qu’elle comporte.
Là, le trait de Manolo Carot se fait plus doux, plus aérien, plus gracieux, mais garde toujours en puissance et en punch.
Ces deux histoires qui se rejoignent sur un ring, pourraient être manichéennes : la force brute contre la technique, l’animal contre la maîtrise, le pauvre contre le riche, le parti de rien contre celui qui a tout. Et c’est même ainsi que les plus cyniques dans leur entourage veulent les présenter, pour en tirer toujours plus de pouvoir et d’argent.
Mais leur histoire propre, face à l’adversité, la corruption, le pouvoir, l’abandon, le rejet… va au delà de la boxe et ainsi brosse un portrait profondément humain et prenant de deux hommes qui vont devoir tout risquer pour trouver qui ils sont et surtout qui ils veulent être.
Les dessins, les couleurs, les cadrages, tout est superbe et on est entraîné dans le sillage de ces deux destins qui ne vont cesser de se croiser jusqu’à l’affrontement final. A moins que ce ne soit que le commencement de leur vie ?
Voilà un très beau livre avec des personnages superbement construits et mis en scène.