Série en 8 tomes par Fuyumi Soryo, éditée en VF par Glénat.
Sens de lecture japonais, 115x180mm, 6,90€.
Pour cet été 2018, j’ai décidé de me lancer dans la lecture de mangas qui végètent depuis des années sur mes étagères. Des œuvres dont j’ai pu parler sur Mangaverse pour leurs premiers volumes mais que je n’ai pas eu le temps depuis de terminer. Un exercice plus compliqué que je ne le pensais…
Premier manga concerné, ES Eternal Sabbath de Fuyumi Soryo en 8 volumes chez Glénat sorti en 2004-2005, dont javais parlé sur Mangaverse en avril 2004 après lecture du premier tome.
Il n’a pas vraiment d’identité. Sous l’apparence d’un beau jeune homme, tout lui semble accessible. Quoiqu’il fasse, tout le monde semble à ses ordres. Jamais rien à payer, à assumer. Car il est capable d’entrer dans la tête des gens et de modifier leurs pensées.
Sa première réelle ingérence dans la vie d’humains le met sur la route de Mine Kujo, une neurologue. Cette dernière ne sait alors pas l’enchaînement de morts que cela va entraîner…
Fuyumi Soryo, on la connaît aujourd’hui pour sa fresque historique Cesare chez Ki-oon. Mais en 2003, c’est par sa saga romanesque Mars chez Panini Manga (alors Génération Comics) qu’on la découvre, suivi donc par ES chez Glénat. Un seinen issu du magazine Morning de Kodansha, un thriller où se mêlent sciences du cerveau et pouvoirs psychiques.
Le premier chapitre, de 80 pages, est un prologue qui nous présente de quels pouvoirs psy il sera question. Il faut ensuite attendre le chapitre suivant pour rencontrer l’héroïne de cette histoire, Mine Kujo. La scientifique douée qui ne vit que pour ses recherches et s’avère totalement incompétente pour tout ce qui concerne les rapports humains, notamment amoureux.
Son implication débute par l’étude du cas d’un adolescent accusé d’un crime horrible et qui est désormais persuadé d’avoir été gravement brûlé, sans qu’il n’en porte aucune trace physique visible. Cela va mettre Mine sur la piste d’un jeune homme, Ryôsuke, qui va alors s’incruster dans son quotidien comme s’il en avait toujours fait partie. Du moins aux yeux des autres.
Né d’une expérience scientifique à l’éthique complètement foireuse, Ryôsuke a peut-être de grands pouvoirs mais une expérience de la vie inexistante et une empathie qui n’a jamais été nourrie d’un quotidien avec ses semblables. Là où la science courrait encore et toujours après la vie éternelle, elle a oublié en cours de route l’importance de la vie en elle-même, à quel point elle est fragile et doit être protégée. Créant des êtres sans passé, sans avenir, élevés sans attention ni amour, ne pouvant prendre en considération les existences des autres alors qu’on n’avait aucune estime réelle pour la leur. Car Ryôsuke n’est peut-être pas le seul spécimen…
Dans ce thriller, Fuyumi Soryo enchaîne les morts et les révélations. Mais moins que l’histoire elle-même, en soi assez classique surtout quinze ans après sa parution, ce sont les thèmes qu’elle aborde qui ressortent.
L’importance de l’amour dans l’éducation d’un enfant, dont le manque peut totalement modifier la personnalité d’un individu. Comme son apprentissage des notions de bien et de mal : donner le pouvoir de tuer à des enfants alors immatures sur ces notions, prenant les choses de manière très simpliste en étant incapables de contextualiser les situations qui les blessent.
Les difficultés de communiquer, qui apportent tant de malentendus et empêchent des personnes pourtant proches de se comprendre et de réaliser la souffrance qu’elles peuvent infliger aux autres sans pouvoir s’en rendre compte, aveuglées par une apparente perfection de façade. Souffrance fruit de la jalousie, du manque d’attention. A quel point cela peut donner vie à des pulsions violentes, des idées noires, nourrir notre face sombre que l’on doit apprendre à contrôler.
L’importance de la moralité dans des recherches : aussi nobles peuvent être les intentions (au delà du gain à gagner…), cela ne donne pas le droit de faire n’importe quoi.
Et à partir de là, la question des limites : jusqu’où est-on prêt à aller pour atteindre un objectif ? Face à certains situations, ces mêmes notions de bien et de mal qui paraissent si évidentes en temps normal prennent une complexité nettement plus profonde et interrogent : protéger la vie, oui, mais au prix d’une part de notre humanité ? Face à la peur, à la souffrance, à l’immaturité, quel chemin emprunter, quel est le choix le plus juste ? Faut-il forcément accepter que dans certains cas extrêmes, toute solution apportera son lot de culpabilité et de poids à porter ?
Au delà de ces questions dignes d’un bac de philo (au moins…), Fuyumo Soryo apporte aussi quelques touches de douceur et de tendresse dans les relations de certains de ses personnages.
Ainsi Ryôsuke apprend la force des liens humains en se trouvant une “famille” d’adoption, découvrant alors l’importance de s’impliquer pour protéger ceux auxquels il ne peut s’empêcher de s’attacher.
Mine quant à elle s’interroge énormément sur son humanité, n’ayant jamais été dans les standards de la normalité qu’on attendait d’elle.
Entres les moments durs et cruels que cette aventure leur fera traverser, il y aura aussi des occasions de goûter à la simple chaleur du quotidien.
La fin est un peu facile et cliché (surtout, là encore, avec quinze ans de récits accumulés depuis) mais cela n’entame pas spécialement la qualité du titre, qui sait être prenant et accrocheur.
Le trait de Soryo est toujours aussi clinique, fin et détaillé, sans doute assez froid, mais apportant justement aux personnages leur air parfois si triste face à la solitude qu’ils connaissent tous.
En fait, la seule vrai difficulté dans la lecture, c’est le choc de redécouvrir la qualité très discutable de l’adaptation. C’est là qu’on voit à quel point les standards ont évolué en quinze ans. Police de caractère mal choisie, onomatopée étranges, lettrage parfois atroce, pages en niveaux de gris complètement foirées sur les premiers tomes… Waouh, on a bien changé depuis !
(Mais je suis exigeante sur le sujet, donc cela ne dérangera pas forcément tout le monde.)
Quant à la traduction, elle me semble parfois assez incompréhensible sur certains points…
Bref, l’objet en lui-même affiche son âge mais si l’histoire n’a aujourd’hui plus forcément grand-chose de vraiment originale, elle sait aborder des thèmes avec pas mal de profondeur et d’efficacité.
J’aurai relayé avec plaisir ton article sur Twitter, vu que c’est un manga que j’avais beaucoup apprécié en son temps et que je redoute à relire pour me rendre compte que c’était pas si génial que ça, malheureusement tu m’as bloqué sans raison. Cordialement
Ah bizarre ! De mon côté, ton compte sur twitter me dit “Vous avez été bloqué, vous ne pouvez ni suivre @SamizoKouhei, ni voir les Tweets de @SamizoKouhei” donc…
ça me paraît un “renvoi d’ascenseur” honnête.
Première chose, je ne t’ai pas bloqué volontairement. En tout cas, je n’en ai aucun souvenir (et je ne vois pas pourquoi). Par contre, j’ai utilisé des listes de blocage à une époque, qui contenait des milliers de comptes (il y avait toute une vague de harcèlement anti-féministe venant d’un certain forum de jeux vidéo, et c’était plutôt violent). Peut-être étais-tu dans une des listes (qui peuvent comporter des erreurs) ?
Et miracle, je viens de trouver où il fallait cliquer sur un profil pour le débloquer ! (Punaise, ils devraient le mettre encore plus petit, leur bouton). Donc normalement, je t’ai débloqué.
(Après, tu fais comme tu le sens, aucune obligation de rien)
D’ailleurs cet excellent manga est toujours disponible aux éditions Glénat, donc ceux qui aiment les thriller et Fuyumi Soryo, jetez-vous dessus! Dans ma tête je le place aux côtés de Parasite car il s’agit de deux séries seinen courtes, éditées à peu-près à la même période par le même éditeur.
Ca tombe drôlement bien que tu parles de Parasite en fait 😉