Volume unique par Shinji Kajio et Kenji Tsuruta, édité en VF par Ki-oon en janvier 2018.
Sens de lecture japonais, 170x240mm, 15,00€.
Après L’île errante, Ki-oon continue d’approvisionner sa collection Latitudes avec le travail de Kenji Tsuruta avec le one-shot Souvenirs d’Emanon, adaptation des nouvelles de l’écrivain Shinji Kajio (non disponibles en VF).
1967, sur un ferry le ramenant sur l’île de Kyushu, un étudiant rencontre une énigmatique jeune fille qui va lui raconter la plus étonnante des histoires : si elle n’a physiquement que le corps d’une femme de 17 ans, sa mémoire est bien plus ancienne…
Si le premier volume de L’île errante m’avait laissé une impression assez mitigée, la lecture de ce one-shot m’a nettement plus séduite, de par son ambiance, extrêmement douce et poétique.
Il ne se passe en fait pratiquement rien, juste une simple rencontre sur un bateau.
Il est étudiant, fauché, revenant d’une errance déclenchée après une énième déception amoureuse. On ne sait connaît pas son nom, on sait juste qu’il a un cœur d’artichaut et que c’est un amateur de romans de SF. Quand cette jeune fille s’assoit à côté de lui sur le pont, et qu’elle commence à lui parler d’événements arrivés à l’évidence bien avant sa naissance, bien qu’incrédule, il l’écoute. Elle non plus n’a pas vraiment de nom mais à quoi servent-ils quand on a l’éternité devant soi ?
Difficile de ne pas être hypnotisé par cette jeune fille au regard si triste, transportant sa solitude comme une fatalité que rien ne pourra jamais changer. Le poids d’une histoire sans oubli, sans repos possible. Pour autant, on ne ressent aucune déprime, mais plutôt une sorte de sérénité un peu blasée face à un état de fait. C’est ainsi et ça le restera.
Simple blague, maladie neurologique, réalité incroyable ? Le jeune homme ne sait pas forcément à quoi s’en tenir mais il écoute, interagit, tente des hypothèses pour répondre au besoin criant de réconfort, de réponses, de lien de la femme en face de lui, insaisissable, éthérée, au look si simple et naturel qui ne masque pourtant pas cette petite étincelle d’éternité qui semble souffler.
La relation qui se noue durant ces quelques heures entre ces deux individus errant dans leur vie est emplie de délicatesse, d’humour, de bienveillance et de subtilité. C’est comme effleurer un moment d’éternité pendant un court instant. Mais quelle importance a le temps quand on n’a pas de date de fin, quand la mortalité n’est qu’un détail sans réalité ?
Avec Souvenirs d’Emanon, Kajio et Tsuruta touchent à quelque chose de profond, de subtil, difficile à cerner. Le genre de sujet qui peut rapidement tourner au grotesque et à la surenchère mais que Tsuruta parvient à mettre en image avec maîtrise. Peu de dialogues, beaucoup de pages muettes, un dessin sublime, délicat et précis, avec une mélancolie douce qui se dégage du regard d’Emanon.
Le résultat est très beau, parvenant à transmettre ce petit goût d’éternité avec finesse, sans en faire jamais trop.
Il y aurait en fait beaucoup à dire, à interpréter, à imaginer, tant le sujet touche au fondamental de la vie, de la condition humaine (entre autre), tant la question est vaste… Mais vu que Souvenirs d’Emanon est juste le premier volume d’une série de one-shots reprenant les romans de Shinji Kajio, sans doute pourra-t-on encore croiser cette fascinante héroïne d’ici quelques mois…