Volume unique par Lou Lubie, édité par Vraoum! en octobre 2016, 170x240mm, 144 pages, 15,00€.
Pour la première chronique de l’année, je vais vous parler d’un coup de foudre.
Il y a quelques semaines, je suis tombée amoureuse. Ça m’est tombée dessus comme ça, sans que je m’y attende, avec une telle évidence, en pleine tronche.
Je suis tombée amoureuse… d’un dessin. Plus précisément du style graphique de Lou Lubie dans sa BD autobiographique Goupil ou face chez Vraoum!.
C’est à 16 ans que Lou découvre un hôte indésirable dans sa vie. Un truc noir, qui lui bouffe son bonheur. Mais elle n’y prend pas garde et continue d’avancer, malgré tout. Mais deux ans après, ce machin noir la fait plonger très profondément. Tellement que la remontée semble impossible. Il lui faudra des années, beaucoup de psy, de médicaments, une hospitalisation, des désillusions, avant de pouvoir mettre un mot sur “ça” : elle est cyclothymique.
La cyclothymie, c’est un trouble de l’humeur des la famille des maladies bipolaires. Car la bipolarité, ce n’est pas que Carrie Mathison qui part en sucette dans Homeland ou Bradley Cooper qui réveille De Niro dans la nuit pour hurler sur Hemingway. Avec Goupil et face, Lou Lubie nous raconte sa propre expérience et nous en apprend plus sur des troubles très peu connus alors qu’ils affectent tant la vie de ceux et celles qui en souffrent. Et cette méconnaissance rend le diagnostic potentiellement difficile et souvent tortueux : on peut ne remarquer que la dépression et risquer d’aggraver le trouble en ne traitant qu’elle, on peut minimiser les effets en pensant que “tout le monde a des sautes d’humeur” et louper le danger de suicide, très présent chez les cyclothymiques. Entre autre.
Avec sincérité et énormément d’humour, Lou explique comment elle a tenté d’apprivoiser son renard à elle, aussi mignon graphiquement que destructeur psychologiquement. Comment elle tente de gérer ses énormes sautes d’humeur, tempétueuses, imprévisibles et rapides, pouvant passer de l’excitation la plus forte à la déprime la plus profonde en quelques minutes. Comment son hypersensibilité la rend vulnérable au quotidien, comment la communication avec son entourage peut être difficile, tant tout en elle peut être instable, source d’angoisses et de souffrances quand tout devrait aller bien.
Cette BD est envers et contre tout lumineuse par l’énergie qu’elle transmet, la profonde honnêteté qu’elle dégage, la bienveillance qu’elle partage. Les explications sont claires, ludiques, originalement exprimées, permettant de se plonger dans le quotidien parfois impossible de ces personnes devant lutter constamment contre des forces intérieures qui peuvent détruire leur vie professionnelle, sociale, amoureuse et les faire sombrer.
Elle donne aussi des conseils, des petits trucs, qu’elle a pu tester, pour tenter de tenir jour après jour, avec ce fichu renard enjôleur capable de passer du séducteur irresponsable au pire des tortionnaires.
Bref, je ne peux que conseiller cette excellente BD, forte et sensible, extrêmement drôle et documentée, graphiquement superbe, élégante dans son trait et sa coloration. On y apprend énormément, avec simplicité, délicatesse et énormément de bienveillance face à un trouble ravageur et méconnu. Brillant.