Volume unique par Aoi Ikebe, édité en VF par komikku en novembre 2015.
Sens de lecture japonais, 170x240mm, 18,00€.
On connaissait les pavés blancs de la collection Écritures de Casterman, de la collection Latitudes de Ki-oon, il faut désormais compter sur ceux de la collection horizon de komikku. Et pour l’inaugurer, Ritournelle, un one-shot d’Aoi Ikebe, nouvelle venue dans le paysage manga français. Et pour une entrée, c’est une entrée réussie.
Un couvent, on ne sait où, on ne sait quand. Hors du temps, hors du monde. Hors de celui des hommes, plein de tentations, de dangers, de désillusions. Ces petites filles et ces femmes vivent en vase clos, entre corvées quotidiennes, prières, prêches. Parmi elles, il y a Marwenna, la sœur parfaite qu’admire tant la petite Amilah. Mais la perfection est-elle réelle ou dissimule-t-elle une âme tourmentée ?
Ce manga tout en couleurs vous fait plonger au cœur d’une sororité dirigée par mère Chicory. Le quotidien de ces femmes semble austère, uniquement rythmé par les corvées, les repas, les prières. Tout ne semble tourner qu’autour de leur foi. L’homme et son monde ne sont que tentations et à moins d’avoir toujours vécu entre les murs du couvent d’Otro Lado, il est difficile d’y résister, même en sachant tout le mal que l’on peut y trouver. Donner sa vie et son cœur à Dieu ou à un homme, voilà qui semble les seuls choix possibles si elles ne veulent pas finir dans un bordel où elles vivraient une autre forme de sororité, forcément plus rude et dangereuse…
Ritournelle est un manga d’ambiance, où rien ne se passe, où rien n’est vraiment dit mais où les émotions et les ressentis de chacune jaillissent à chaque page. Aoi Ikebe parvient à dépeindre le quotidien de ses personnages avec une infinie délicatesse, une douceur grave et solennelle mais jamais pesante.
Le trait est simple mais la subtilité de la mise en couleurs rend l’ensemble étonnamment fort et profond, submergeant la lecture d’un grand sentiment de dignité et de tendresse. On oscille entre la grande sérénité des sœurs, une sérénité qui parfois se fragilise et se fissure, la candeur et la soif d’absolue des apprenties et l’appel de la vie en ville, avec ses dangers, ses tromperies, ses déceptions. Mais être protégée physiquement par les murs du couvent ne protège aucunement des doutes sur ses choix, sur la vie que l’on souhaite mener, sur comment la combler et nourrir son âme avec le moins de souffrances possibles.
Nul besoin d’être croyant ou sensibilisé à une quelconque religion pour découvrir pleinement Ritournelle. Ces femmes qui se tournent vers Dieu pour remplir leur vie et leur cœur restent avant tout des êtres humains, avec leurs doutes et leurs failles. Aoi Ikebe parvient à saisir très finement ces affres de l’âme et à les partager avec un simple trait, un regard dans le vague, une narration parfaitement maîtrisée, jouant sur le temps sans jamais nous perdre, nuançant tout avec un simple détail dissimulé dans la page. Elle déchiffre avec pudeur et respect, sans aucun jugement sur quoi que ce soit, chaque étape, chaque étincelle, chaque pas de ses personnages sur le chemin de leur vie. Leur peur de l’abandon, de l’amour, leurs doutes sur leurs capacités à être là pour les autres, à être à la hauteur de ce que l’entourage peut attendre. Sur les pertes inévitables au fil des années, les erreurs, les douleurs que l’on peut infliger, les cœurs que l’on aura brisés, les esprits que l’on aura marqués.
L’écriture est vraiment incroyablement subtile et riche, donnant une profondeur à chaque case qui pourrait pourtant sembler si austère. On n’est clairement pas là face à une inutile rengaine pour ou contre la religion, sacralisant la foi ou la méprisant. Mais bien face à des âmes en pleine recherche de ce qu’elles sont, face à des choix difficiles qui ne laisseront personne indemne.
Voilà une très belle découverte, à l’ambiance unique, riche en ressentis et en réflexions.