Volume unique par Isabel Franc et Susanna Martin, édité en VF par Vertige Graphic, 173x247mm, 144 pages, 18,00€. Sorti en mai 2016.
C’est totalement par hasard, sans rien en savoir, que je découvre et achète Alice au pays du réel dans ma librairie BD habituelle, simplement intriguée par la couverture et le style graphique. Les thématiques médicales m’intéressent souvent alors pourquoi pas ?
Alice (Alicia en espagnol) voit sa vie chamboulée du jour au lendemain quand sa gynécologue lui annonce que ces petites boules dans son sein gauche sont bien des tumeurs. La voilà partie pour une mastectomie puis des séances des chimio et de radiothérapie. Heureusement, elle est épaulée par toutes ses amies…
J’avoue que durant ma lecture, j’ai été un peu déçue. Je trouvais que cela manquait d’implication, d’émotions, qu’on ne ressentait pas l’angoisse du parcours médical, que cela rendait un peu superficiel comme si un tel événement était totalement anodin. Puis c’est en refermant le volume et en relisant la préface que j’ai réalisé que je n’avais simplement pas compris tout de suite de quoi parlaient Isabel Franc et Susanna Martin (scénariste et dessinatrice espagnoles comme leur nom ne l’indique pas). L’idée n’est absolument pas de parler de la maladie… mais de la suite. L’œuvre est clairement destinée aux malades (et leur entourage), qui n’ont pas besoin qu’on leur rabâche tout ce qu’elles (et ils, parfois) savent déjà de leur souffrances et de leurs douleurs, de leurs angoisses et de leur crainte du lendemain. Mais de l’après, auquel il faut croire, du regard que l’on porte sur soi après une opération difficile, des ami.e.s qui tentent de gérer ça, parfois avec maladresse ou trop d’attention, risquant d’étouffer et d’oublier d’écouter la personne qu’ils/elles veulent aider.
Alice n’est pas du genre à se prendre la tête. Ses ex-copines – oui parce que sans le savoir, je suis aussi tombée sur une BD LGBT où l’héroïne vit son homosexualité sans aucun stress et avec une grande liberté, tout naturellement – répondent toujours présentes pour la soutenir, en mettant parfois les pieds dans le plat. Mais le regard porté par les autrices se veut bienveillant, avec beaucoup d’humour et de tendresse. Et elles cherchent surtout à aider les lectrices.eurs face à leur apparence qu’il faut réussir à ré-apprivoiser. Si Alice n’était de toute façon déjà pas spécialement fixée sur sa poitrine, la perte d’un sein et surtout la vision d’une cicatrice restent tout de même des épreuves à dépasser une fois seul.e devant sa glace.
Et c’est justement cette question centrale qui est ici développée. Avec beaucoup d’humour, les autrices reviennent sur les idéaux esthétiques féminins au travers des siècles et des pays, tout en n’omettant pas qu’en occident au XXIe siècle, les femmes continuent de devoir affronter des diktats sur leur silhouette, leurs formes, leur apparence, leur tenue. Ce qui ne facilite évidemment pas la réappropriation du corps par les femmes ayant subi une opération. A chacune alors de trouver la démarche qui lui convient le mieux avec, on peut l’espérer même si cela n’est hélas pas toujours le cas, le soutien des proches.
Alice trouve ainsi comment reprendre possession de son corps, au delà des jolies phrases yakafokon “mais tu t’en fous de ce que pensent les autres” (facile à dire…), aussi bien esthétiquement que physiquement, dans ses rapports intimes où la maladie et les traitements laissent des traces, des épreuves à surmonter y compris dans le regard de l’autre.
Au final, Alice au pays du réel se révèle une jolie BD pleine de bonne humeur, de tendresse, d’amour et de bienveillance, pas du tout anxiogène ou pesant face à une maladie qui touche près d’une femme sur 8. Cela n’est clairement pas négligeable et tout ce qui peut aider à surmonter cette épreuve est le bienvenu. Oui, cela reste une lecture légère pleine de bons sentiments mais comme le dit dit Alice “Avec tout ce que j’ai traversé, un peu de romantisme ringard ne fait pas de mal”.