Volume unique par Hozumi, édité en VF par Glénat en mars 2015.
Sens de lecture japonais, 115x180mm, 10,75€.
Le manga peut décidément parler de tout et pousser à s’intéresser à tout… Nouvelle preuve avec Les Deux Van Gogh de Hozumi chez Glénat. Un bon pavé de près de 380 pages regroupant les deux volumes japonais.
1885, Paris. Théodore Van Gogh est marchand d’art pour la prestigieuse maison Goupil. L’art est alors réservé aux riches cultivés amateurs de galeries et de grands noms de prestige. Mais Théodore a un frère aîné, Vincent, peintre de génie méconnu, sur lequel il compte pour bousculer les conventions étriquées de ce milieu et bouleverser le monde entier. Et il est prêt à tout pour que cela arrive…
Si ce manga a au départ été prépublié dans un magazine shôjo, Glénat nous le propose dans sa collection seinen. Pour autant, ce n’est sans doute pas une mauvaise idée car il serait dommage de ne pas se plonger dans ce titre juste pour une question de classification…
Ici, Hozumi nous propose sa version de la vie de Van Gogh. Une version intense et profonde, avec principalement le lien entre deux frères que tout semble opposer. Vincent est doux, simple, généreux et ouvert, aimant plus que tout peindre sans se préoccuper d’autre chose. Théodore est intrépide, ambitieux, intelligent, manipulateur et s’est donné pour mission de faire connaître le talent de son frère au reste du monde quoiqu’il en coûte. Chacun envie l’autre, Vincent le charme ravageur de son frère qui le rend si attirant et percutant, Théodore l’incroyable don de cet aîné si simple pour déclencher des torrents d’émotions chez quiconque posant les yeux sur une de ses toiles. Même parmi les jeunes peintres hors du système élitiste et pompeux de l’époque, refusant les codes conservateurs de l’académie, Vincent est un être à part. Lui voit le beau partout. Dans la joie comme dans le désespoir, dans la réussite comme dans l’échec. Et c’est ce talent si unique que Théodore choisit comme mission de faire découvrir, au mépris de tout.
En quelques pages, Hozumi parvient à nous plonger au sein de cette relation fraternelle intense, où l’amour et la haine se jaugent, où l’envie cède le pas à l’amour pour mieux revenir exploser dans le cœur de chacun des deux frères. Ils sont si différents, mais deux facettes d’une même pièce, indispensables l’un à l’autre. Vincent voit de la beauté partout autour de lui, Théodore voit le talent irradier des mains de son frère, de son regard unique sur le monde. La subtilité de la description de l’intimité de leur relation est extrêmement prenante, nous glissant avec finesse dans l’âme de ces deux personnes qui par leur simple existence ont tant à offrir à l’art.
Un art jusque-là réservé à une élite qui cultive ainsi l’entre-soi et peut alors éviter que le simple peuple qu’elle juge ignorant de tout puisse s’élever à son tour. Une ignorance savamment entretenue pour que ces hommes et femmes du quotidien ne puissent pas également démontrer leur capacité à ressentir et exprimer une palette d’émotions qui devrait rester réservée aux mieux lotis d’une société fondamentalement injuste.
La lecture des Deux Van Gogh est un véritable régal et nul besoin de s’y connaître en peinture. Mais cela donne envie de s’y plonger, l’amour des œuvres qui s’en dégage étant des plus communicatifs. Hozumi parvient à déclencher l’émotion, la soif du beau, la curiosité du regard tout en développant par petites touches très justes la relation de la fratrie Van Gogh. Les manigances et la mesquinerie de certains ne sont alors rien face à cette capacité de proposer un regard neuf sur le monde, donnant à l’art cette capacité d’être intemporel.
J’en terminerai en signalant évidemment la finesse et l’élégance du trait de Hozumi, remarquable, avec un jeu des regards intense et marquant.
À dévorer, sans hésitation…