Volume unique par Osamu Tezuka, éditée en VF par Isan Manga.
Sens de lecture japonais, 152x212mm, 208 pages, 18,00€.
N’étant à la base pas une adoratrice d’Osamu Tezuka – j’ai beaucoup apprécié certaines de ses œuvres mais les dernières parues ne m’ont pas du tout tentée – je ne comptais pas spécialement acheter La nouvelle île au trésor sortie chez Isan Manga. Puis j’ai craqué, séduite par l’objet lui-même, très classe, pour une œuvre si emblématique et intrigante.
En elle-même, l’histoire est très classique.
Pete, un jeune garçon (enfin, jeune… il conduit un bolide quand même…), vient de trouver une carte au trésor et part à la recherche de l’île censée le cacher, accompagné par un chiot qu’il vient de sauver. Son navire est attaqué par des pirates et lui, le chien et le capitaine sont faits prisonniers. Suite à une tempête qui fait sombrer le bateau pirate, les trois amis échouent sur une île…
Cela vous rappelle quelque chose ? Normal. Lire en 2014 un tel résumé donne évidemment une forte impression de déjà-vu.
Commençons d’abord par signaler que La nouvelle île au trésor (Shin Takarajima en VO) a été publiée en 1947, fruit de la collaboration entre Shichima Sakai et le jeune Osamu Tezuka, dont c’est alors une des premières œuvres éditées. On présente souvent ce manga comme la source du manga moderne, ayant inspiré bon nombre de mangaka en devenir, instaurant un style innovant et unique qui allait faire date… Oui mais en fait, pas complètement.
La version que nous propose Isan Manga, et qui est souvent utilisée comme référence en tant que “premier manga moderne” est en fait une version retravaillée par Tezuka et sortie en 1984, pour intégrer la collection de ses œuvres complètes que l’éditeur Kodansha publiait dans les années 80 (Isan Manga l’indique d’ailleurs clairement sur la couverture). Le nom de Sakai comme auteur a totalement disparu et si l’histoire garde une même base, il y a beaucoup d’ajouts, de dessins totalement refaits, et la structure même des pages n’est pas la même. Là où la version de 1947 comptait 3 cases par page, il y en a ici 4, changeant donc forcément la narration et la pagination. La magnifique scène d’ouverture, avec les 4 cases en zoom arrière sur Pete dans son bolide est ainsi assez différente de la version d’origine, moins percutante pour nous aujourd’hui qu’elle pouvait l’être à la sortie de la deuxième guerre mondiale pour des petits Japonais (dont certains allaient devenir de grands mangaka des années plus tard).
L’ensemble est donc un étonnant mélange entre des éléments de 1947 et de 1984, sans qu’on puisse précisément affirmer ce qui vient de l’une ou l’autre version, la part de travail de Sakai, etc. Néanmoins, pour 1947, il y a sans doute la trame de base de l’histoire, les référence à L’île au trésor, aux films d’aventures américains de l’époque, comme Tarzan, au style de Disney des débuts, pour 1984 la narration très dynamique, les plans très cinématographiques, très travaillés et épurés (plus adaptés à une lecture actuelle) qui donnent une vraie énergie à l’histoire, parvenant à dépasser le cadre très strict des 4 cases par page.
Ainsi, au delà de l’histoire de base extrêmement classique pour nous aujourd’hui, reprenant tous les clichés du genre – les noirs qui ne peuvent être que des sauvages cannibales (ça me fait penser aux problèmes juridiques connus par les éditions récentes de Tintin au Congo, sorti à l’origine en 1931, en plein contexte coloniale), le trésor dans son coffre, les pirates et leur navire, la fameuse carte au trésor, la mystérieuse île inconnue mais sur laquelle on tombe forcément suite à un naufrage -, au delà des anachronismes et des invraisemblances, il se dégage un petit côté suranné charmant, proche de celui qu’on peut éprouver en regardant les tout premiers films de Mickey (ou Mortimer, à l’époque), ou des frères Fleischer comme les films de Popeye. Le chien a des airs de ressemblance avec Oswald the lucky rabbit, première création d’Ub Iwerks et Walt Disney en 1927. Des gags tout simples (aujourd’hui sans doute éculés), un style naïf, direct et sans fioriture, avec une constante recherche de rythme. La version de 1984 rajoute même un côté assez ironique, avec le retournement de fin, classique en soi mais aux explications très terre à terre qui font sourire.
Si l’histoire en elle-même reste donc une lecture simple mais touchante et plutôt divertissante une fois remise dans son contexte, le texte de fin signé Xavier Hébert sur les bouleversements subis par ce manga au fil des années et des versions (1947 / 1984) rend l’ensemble historiquement passionnant et permet véritablement de saisir l’importance très complexe que ce titre peut avoir aussi bien dans la bibliographie de Tezuka que dans la chronologie du manga jusqu’à nos jours. Voilà un bonus très appréciable pour cette édition plutôt soignée.
Vous pouvez également lire le texte de Jean-Paul Jennequin “Le mystère de l’île au trésor” dans le Manga 10 000 images n°2, revenant encore plus en détail sur cette histoire.