Série en 2 tomes par Shotaro Ishinomori, éditée en VF par Isan Manga.
Sens de lecture japonais, 156x212mm, 420 pages, 29,90€.
Même si on parle plus souvent d’Osamu Tezuka comme influence et père du manga moderne, il ne faut pas oublier pour autant un de ses assistants devenu à son tour un modèle pour la génération suivante, Shotaro Ishinomori. Quelques éditeurs ont d’ailleurs eu l’audace de publier quelques-uns de ses nombreux titres, Glénat avec Cyborg 009 ou Le voyage de Ryu, Kana avec Sabu et Ichi, Hokusai, Miyamoto Musashi ou Kuzuryû… et Isan Manga avec Kamen Rider, qui nous intéresse ici.
Je dis “l’audace” car de toute évidence, au delà de l’aspect historique ou fondateur de ces œuvres, elles ne risquent pas d’être des succès commerciaux de nos jours en France.
Quand Takeshi Hongô se réveille après un grave accident de moto, c’est pour se découvrir allongé et attaché à une table d’opération tandis qu’une voix lui annonce qu’il a été choisi par l’organisation Shocker pour devenir un de leurs cyborgs destinés à dominer la planète. Mais il parvient à s’enfuir et devient alors le pire ennemi de Shocker, sous le nom de Kamen Rider, le défenseur de la justice.
Les familiers de Cyborg 009 ne pourront pas louper les innombrables similitudes entre les deux œuvres. Cyborg 009, série lancée en 1964, voit ainsi 9 humains transformés en cyborgs par l’ignoble organisation criminelle Black Ghost pour (roulements de tambour)… conquérir le monde ! Kamen Rider doit lui combattre Shocker, qui n’a pas d’autre ambition que son prédécesseur diabolique. Le titre est né en 1971, à la télévision notamment, première série de tokusatsu, genre popularisé en France avec les séries San ku kai ou X-or (toute mon enfance !!) où les héros combattent le mal en se transformant.
Si Kamen Rider a aussi été déclinée en plusieurs versions manga, Shotaro Ishinomori en a dessiné quelques-unes dont celle que sort Isan Manga. On y retrouve tous les éléments qui font la spécificité des tokusatsu : l’intrépide héros qui se bat contre une organisation maléfique grâce à un super-costume. Ici, le costume est entomoïde, une sauterelle plus précisément, Shocker ayant l’humour de créer des cyborgs inspirés de capacités animales plus ou moins réelles (du crabe à la Méduse de la mythologie grecque). Ainsi, chaque adversaire successif du héros a des pouvoirs spécifiques lui permettant de contrôler les humains, but ultime de Shocker. Kamen Rider va donc passer son temps à enfourcher sa super moto pour aller combattre les plans diaboliques de cet ennemi que personne d’autre que lui ne remarque.
Soyons honnêtes, le scénario en lui-même est des plus basiques : le gentil qui se rebelle contre les gros méchants, le héros qui se bat pour la justice et la paix face au mal absolu qui ne recule devant rien pour assouvir sa soif de pouvoir. Les objectifs et méthodes de chacun sont simples et évidents, le but est de parler directement aux jeunes lecteurs à qui était destinée la BD dans les années 70.
Ça n’empêche pas Kamen Rider d’être une lecture intéressante. Déjà par l’apport massif de références qu’elle a données au manga et à la culture japonaise en général, une déclinaison de la série TV étant toujours actuellement en cours de diffusion sur les chaînes nippones. Le tokusatsu a d’ailleurs touché également les pays occidentaux, que ce soit dans leur diffusion, Bioman, ou leur production, Power Rangers et compagnie, preuve de son influence. Et nombreux sont les mangas à y faire référence, d’une manière ou d’une autre.
Qui plus est, si la base de l’histoire est simple, l’éternel combat du Bien contre le Mal, cela n’empêche pas l’auteur d’y avoir incorporé des éléments de son époque.
Ainsi, dans les années 70, le Japon est toujours dans une culture d’après-guerre, traumatisé par les bombes atomiques qui continuent de tuer des dizaines d’années plus tard – un personnage en est d’ailleurs victime – et ne recule devant rien pour devenir un acteur mondial de premier plan. L’industrie est au pouvoir, les Japonais se doivent de se sacrifier au travail pour permettre à leur pays de rivaliser avec l’occident dominateur. Et tant pis pour leur santé ou l’environnement qui payent alors le prix fort d’une industrialisation folle sans limite, empoisonnant à tour de bras sans que les pouvoirs publics s’en alarment vraiment. Ishinomori utilise ces divers éléments pour donner du corps à Shocker, illustration parfaite d’une société perdue qui a oublié l’intérêt commun.
Si les super-héros américain de l’époque sont (me semble-t-il) plutôt patriotes, optimistes, plein d’entrain et d’espoir pour l’avenir, leurs homologues japonais sont plus désabusés, ne font confiance qu’à eux-mêmes et surtout pas à un pouvoir politique souvent ambigu et peu fiable, potentiellement manipulé par des intérêts financiers. S’ils gagnent des batailles, parfois au prix de leur vie, la guerre contre le mal ne s’arrête pas pour autant. Que ce soit dans Kamen Rider ou Cyborg 009, l’ennemi peut s’appeler Shocker ou Black Ghost, sa destruction n’amène jamais un point final à l’histoire car le mauvais côté humain survit en tout individu et il y aura toujours besoin d’un nouveau héros pour le combattre.
Ainsi, dans ces histoires, il ne peut jamais y avoir de happy end et l’ambiance est finalement assez sombre et désespérée. C’est un combat sans fin qui fait de nombreuses victimes, l’auteur n’hésitant pas à sacrifier même les personnages les plus jeunes et innocents pour bien marquer les esprits et faire ressentir l’injustice et la dureté de l’existence. Ce qui n’empêche pas les ajouts gagesques à la Tezuka, la légèreté de certains dialogues pour détendre un peu.
On retrouve d’ailleurs cette ambiance assez lourde dans les mangas de l’époque, que ce soit chez Tezuka ou Riyoko Ikeda, Moto Hagio, Go Nagai (difficile de faire plus noir que Devilman)… Lecture jeune ne veut alors pas dire puérile et sans enjeu.
Côté dessin, si le trait d’Ishinomori est très reconnaissable et a priori très simple et direct, adapté à son jeune public, le mangaka sait parfaitement mettre en scène son histoire, à l’aide de plans efficaces, très dynamiques, beaucoup de lignes de vitesse sans jamais en faire trop. Le style de l’époque peut paraître très sage, bien rangé dans ses cases mais l’auteur sait comment utiliser ce classicisme à son avantage, avec des doubles pages étonnantes, des cases pas si simples et une recherche de rythme permanente.
Au final, on se prend plutôt bien au jeu, au delà du scénario assez basique, avec de nombreux éléments sur la société japonaise de l’époque, les recherches graphiques, le côté fondateur qui a influence nombre d’auteurs d’aujourd’hui.
Si l’édition d’Isan Manga est plutôt belle et luxueuse, 2 gros tomes, couverture épaisse, bonne impression, signet, je lui reprocherais le manque d’un appareil critique ou tout du moins d’une présentation de l’œuvre, de son époque de parution (rien n’indique la date initiale de sortie de l’histoire au Japon), ni quels sont les mangas japonais originels : vu la quantité de séries Kamen Rider qui semblent exister, une petite précision sur le matériel d’origine utilisé pour cette édition aurait été intéressante.
Néanmoins, la découverte du titre reste un réel plaisir pour quiconque s’intéresse aux classiques du manga.
Le manga a l’air intéressant, mais un peu cher. J’attendrai une édition moins luxueuse, si elle arrive un jour.
Pour les super-héros américains, c’est un peu compliqué. Disons que tu as un avant et un après Fantastic Four ; sachant que Superman, Batman, Flash, ou Wonder Woman sont apparus avant. Créés en 1961 par Jack Kirby et Stan Lee, ils représentent plus une bande de phénomènes de foire qu’une bande de héros, et c’est ce que leurs auteurs voulaient ; ils sont plus humains, imparfaits, et faillibles que leurs prédécesseurs, et la plupart des figures qui suivront chez Marvel Comics seront dans la même lignée, des personnages qui ressemblent aux lecteurs là où les anciens héros correspondaient plus à des modèles à suivre. Ce qui n’empêche pas Thor d’aller taper les communistes qui veulent renverser un gentil gouvernement pro-américain d’Amérique du Sud.
Ensuite, au début des années 70, les auteurs opèrent un glissement vers ce qui sera appelé l’Âge de Bronze, une période durant laquelle ils vont élaborer des récits plus sérieux, parfois plus violents, et surtout plus emprunts des réalités socio-économiques et des problèmes de l’époque, comme le racisme ou la drogue. Donc contrairement à ce que nous pourrions penser aujourd’hui, ce n’était déjà plus aussi manichéen et patriotique que ça.
je trouve l’edition trop luxueuse, sachant que la majorité des gens qui l’ont acheté en premier était des fans. Je m’en fout d’avoir une couverture en dur, j’aurai préféré payer 2-3 € de moins pour avoir un édition normale.
sinon, Ultraman c’est plus vieux que Kamen Rider.
> Que ce soit dans Kamen Rider ou Cyborg 009, l’ennemi peut s’appeler Shocker ou Black Ghost, sa destruction n’amène jamais un point final à l’histoire car le mauvais côté humain survit en tout individu et il y aura toujours besoin d’un nouveau héros pour le combattre.
“Il n’y a peut-être ni Dieu ni Bouddah, mais il y aura toujours Kamen Rider”
(euh je voulais dire 2x moins cher, pas 2-3 € de moins)
Merci pour ces précisions (bande de pinailleurs :)).
Quant à avoir une autre édition… Ce genre de séries est un four commercial (faut voir les ventes de Cyborg 009) alors quel éditeur voudrait rééditer sous un autre format plus économique une vieille série déjà parue ? Je ne vois pas trop…
(Mais je comprends bien, hein, 30€ le volume, faut les sortir…)
Concernant les super-héros américains, ils sont nés avant la deuxième guerre mondiale, ce qui en a forcément fait des héros patriotes. Leurs homologues japonais sont nés dans les années 60, donc après la guerre, les bombes, la défaite, en plein dans les soubresauts de l’après-guerre, en pleine désillusion sur beaucoup de plans, dans une période de révoltes. Nulle doute que nés dans les années 30, ils auraient été de valeureux patriotes de la propagande
Tu considères les super-héros américains comme un tout, mais concrètement, peu de personnages encore en activité au début des années 70 sont effectivement apparus avant la Seconde Guerre Mondiale.
Certes mais quand je parle de super-héros américains, j’en parle en tant que mouvement global et non par rapport à des personnages précis.
Moui, mais le “mouvement global” n’est pas le même dans les années 30-40 et dans les années 60-70. A partir des créations de Stan Lee et de plus en plus, les héros se posent des questions sur leurs actes et deviennent moins naïfs avec des tournants comme le Green Arrow – Green Lantern (qui vient de sortir chez Urban) et, une décennie plus tard, Watchmen et The dark kinight. Un bon exemple, c’est Captain America, anticommuniste affirmé, actif et un poil lourdingue (comme beaucoup de héros Marvel) dans les années 60 et qui, dans la dernière intégrale sortie en France par Panini (1970), refuse de prendre partie dans le conflit au Vietnâm.
Pour Kamen rider, je n’ai pas acheté la série : j’ai de gros doutes sur son intérêt autre qu’historique alors que d’autres oeuvres d’Ishinomori m’ont vraiment plu (Sabu et Ichi). Le prix est aussi un frein. J’achèterai peut-être les volumes si je les trouve d’occasion.