Série en 6 tomes de Kei Sanbe, éditée en VF par Ki-oon, en VO par Square-Enix.
Sens de lecture japonais, 130x180mm, 7,65€.
Et pourquoi pas une petite croisière sur un luxueux navire pour se remettre de la rentrée ? Embarquez donc sur l’Ocean Craddle avec ces élèves d’une école japonaise partis en voyage scolaire de deux mois. Et pas besoin de billet retour, il y a peu de chance que vous en reveniez…
Car, voyez-vous, il y a beaucoup de manières d’y rester… Noyés ? Écrasés sous des tonnes de débris ? Poignardés ? Pendus ? Bouffés vivants ? Brûlés vifs ? Découpés en sashimi sanglant ? Transformés en psychopathes amateurs de viande plus ou moins fraîche ? Difficile d’y échapper, de toute façon. Ils n’avaient sans doute pas mentionné “atelier de survie en conditions extrêmes” dans la brochure de la croisière…
Ainsi ce voyage devient un cauchemar quand un premier individu commence son carnage en massacrant tout ce qu’il rencontre. Rien ne semble pouvoir l’arrêter, aucune jupette, aucun coup, aucune arme, aucune blessure. Puis il y a ce choc, violent, qui retourne le bateau commençant alors à se remplir d’eau, promettant à tous les survivants une mort par noyade après une longue panique. À moins qu’ils ne se retrouvent sur le chemin de ces individus devenus fous sanguinaires de plus en plus nombreux…
Quand L’aventure du Poséidon rencontre Resident Evil…
Je connaissais déjà Kei Sanbe pour Kamiyadori chez Kurokawa puis L’île de Hôzuki déjà chez Ki-oon. À l’époque, des couvertures relativement aguicheuses mais ne reflétant pas forcément le contenu. Ici, moins de décalage : si dans L’île de Hôzuki, le relativement jeune âge des personnages empêchait quelque peu de se la jouer trop fan service, ici l’auteur peut s’en donner à cœur joie, que ce soit sur le sexy ou la violence. Car ça dégomme sec : ça bouffe, ça gicle, ça découpe, ça explose, ça mord, ça arrache… Les premières pages donnent tout de suite le ton : il y aura peu de survivants… s’il y en a ! Mieux vaut ne pas trop s’attacher à quiconque vu le temps de survie relativement limité.
On se retrouve là avec une série reprenant à sa manière le thème, très à la mode en ce moment, du mort-vivant cannibale. Et comme dans des séries comme Walking Dead, une fois la première surprise passée, et un certain nombre de personnages décimés, la seconde phase permet le regroupement de quelques survivants qui tentent de s’organiser pour gagner quelques minutes de vie supplémentaires. Et par la même occasion, on découvre bien vite que si les contaminés sont évidemment dangereux, l’humain de base se révèle largement plus flippant. Le contaminé poursuit pour mordre et plus si affinités, l’humain – qu’on dit sain mais on se demande vraiment si c’est le cas – a avec lui son intelligence, ses capacités de déduction, de manipulation et son instinct de survie, primaire mais efficace. Quitte à sacrifier du monde au passage si jamais…
La “maladie” révèle alors le caractère de chacun de deux façons : les contaminés voient leur appétit se décupler, aidés au passage par des capacités physiques pas ordinaires, renforçant alors leur férocité. Tandis que les non-contaminés ne peuvent cacher longtemps leur vrai visage : loin de la société et ses lois morales, de ses règles de vie en communauté, chacun se retrouve libre de ses choix sans aucune limite. Certains laisseront libre cours à leur cruauté, leur mégalomanie, leur manque total de scrupule et d’empathie, laissant tomber le masque de l’hypocrisie qu’ils devaient porter jusque-là. La majorité ne fera que suivre, sans vraiment chercher, ayant besoin d’un guide auquel ils obéiront aveuglément sans forcément se poser de questions. Et seuls quelques individus oseront refuser ces méthodes, à leurs risques et périls. Voir pour ça la célèbre expérience de Milgram, ou celle de Stanford, très révélatrices des comportements d’obéissance face à l’autorité et la capacité humaine de faire souffrir autrui s’il n’y a aucun risque de devoir rendre des comptes. Kei Sanbe nous en propose ici une belle variation…
Les six tomes sont en tout cas prenants, haletants, assez angoissants au départ même si au fur et à mesure de la progression, le nombre de personnages diminuant, on est plus dans le contre-la-montre par rapport au bateau qui coule que dans une réelle tension à cause des risques de mort à chaque tournant.
La galerie de personnages est plutôt riche et diversifiée, avec quelques belles ordures que le mangaka prend clairement plaisir à développer plus que les autres. Ainsi, il propose régulièrement de petits flash-backs pour mieux faire comprendre les bases des caractères de certains individus, ce qui ne les rend pas forcément plus sympathiques mais permet de mieux saisir ce qui les a amenés jusque-là. Chacun a fait ses choix, et chacun a pu réagir à sa manière au risque de contamination, à son désir de survie, à ses responsabilités face aux autres.
D’ailleurs, les personnages qu’on pourra qualifier de profondément gentils, il y en a quand même quelques-uns, sont sans doute les plus mal lotis en terme de développement : on explique pourquoi untel n’a aucun scrupule désormais à tuer, on n’explique pas pourquoi tel autre parvient à garder le sourire et à protéger. Il y a donc quelques petits moments de petite quasi-niaiserie façon “je me bats pour la survie de mes amis”, un peu simplistes, mais il faut reconnaître qu’à force de voir des gens se faire trucider sauvagement ou manipuler sans aucun scrupule, ça permet tout de même de prendre une petite pause.
Le rythme reste en tout cas assez haletant de bout en bout, avec toutes les explications données au fil de l’histoire, et donc une fin qui n’oublie pas la moitié des éléments en cours de route.
Graphiquement, Sanbe a sa propre patte, un trait différent du standard Square-Enix habituel, ce qui n’est pas désagréable. Ses personnages sont facilement reconnaissables, la narration est très lisible et les scènes d’action, forcément assez nombreuses, ne posent aucun problème de suivi, avec beaucoup d’énergie.
Par contre, le mangaka semble amateur de culottes sur cette série, puisqu’on en voit quand même énormément au fil des pages, ainsi que quelques paires de seins… et pourtant, ce n’est jamais trop utilisé dans un sens vraiment graveleux. Pas de viol, d’agression gratuite, de complaisance foireuse qui foisonnent habituellement dans ce genre de séries. Juste un certain nombre de gros plans sur des fessiers. Notamment dans les pages bonus où l’auteur raconte sa vie, tout en insérant par ci par là quelques images de ce genre. Mais c’est tellement gros, tellement absurde, que ça prend presque un côté parodique façon “mon éditeur s’est plaint que je n’en ai pas mis dans ma dernière série alors j’en mets plein ici !!”. On pourrait aussi parler de sa fascination pour l’urine puisque les personnages féminins n’arrêtent pas de se faire dessus (ce qui s’explique en cas de panique, bien sûr, mais de là à en faire une fixette à chaque fois…). Passons.
Le Berceau des esprits s’avère être une série plutôt prenante, bien construite, efficace, proposant des personnages plutôt travaillés là où on aurait pu n’avoir que des marionnettes sans âme juste là pour subir l’action. L’ensemble est par contre très violent et les personnes un peu trop sensibles à tout ce qui est tranchant ou mordant ont plutôt intérêt à passer leur chemin.
“on explique pourquoi untel n’a aucun scrupule désormais à tuer, on n’explique pas pourquoi tel autre parvient à garder le sourire et à protéger.”
C’est vrai ça, on attend toujours une explication intéressante au comportement des personnages négatifs mais on considère automatiquement les attitudes désintéressées et altruistes comme allant de soi. Alors que dans ma réalité, il est plutôt très très rare de rencontrer les phénomènes de la seconde catégorie. Peut-être est-ce tout simplement une facilité d’écriture car il est beaucoup moins simple d’expliquer avec une petite histoire pourquoi certains parviennent à dépasser leurs instincts primaires.
Toujours un réel plaisir de lire tes chroniques Morgan, les points développés sont pertinents et offrent une image globale aussi juste que possible.