Volume unique par Tetsuya Toyoda, édité en VF par Kana, en VO par Kodansha.
Sens de lecture japonais, 150x210mm, 12,70€.
Chronique datant du 17/08/2009.
Pour cette première reprise d’une chronique de Mangaverse à l’occasion de l’été 2013, je vous propose de découvrir Undercurrent, première œuvre de Tetsuya Toyoda, dont on découvrira d’ailleurs bientôt Goggles chez Ki-oon, prévu pour octobre 2013.
Ce one-shot nous conte une tranche de la vie des bains publics “Tsuki no Yu”, tenus par Kanae et sa tante.
L’histoire débute sur la réouverture de l’établissement depuis longtemps attendue par les habitués. L’occasion pour nous d’apprendre la difficile situation que connaît la propriétaire des lieux, une jeune femme approchant la trentaine dont le mari semble s’être volatilisé voilà deux mois, entraînant la fermeture des bains. Deux mois de stress, de vide, sans nouvelle, où espoir et angoisse se succèdent constamment, deux mois durant lesquels Kanae n’a cessé de ressasser le moindre détail qui pourrait l’éclairer sur cette disparition aussi soudaine qu’incompréhensible.
Mais la vie doit reprendre malgré tout et le quartier n’attend qu’une chose, retrouver ses bains publics, son lieu de rendez-vous préféré pour se tenir au courant des nouvelles du voisinage. Cette disparition fait jaser, bien sûr, et tout le monde y va de son commentaire, de ses interrogations et de ses certitudes.
Mais qui dit réouverture dit retour au boulot pour Kanae et sa tante, qui auraient bien besoin d’un coup de main pour tenir le coup. Voilà alors que débarque Monsieur Hori, mystérieux jeune homme recommandé par le syndicat, peu loquace mais efficace. Ce retour à la vie, à ses obligations, à ses rencontres n’efface pourtant pas le passé et Kanae va devoir assumer ses peurs, ses doutes et tout simplement… la réalité qu’elle ne peut plus fuir.
Première impression dès les premières pages : le dessin. D’office, il me fait penser à celui d’Eden de Hiroki Endo, par la finesse du trait, les détails, les visages plutôt réalistes même si moins travaillés, la mélancolie diffuse, et surtout à celui de Planètes de Makoto Yukimura, par la chaleur et la tendresse qu’il dégage.
C’est d’ailleurs également à ce dernier manga que me fait penser l’ambiance que Toyoda met en place dans ces bains publics, un lieu de vie où se croisent différentes personnalités qui interagissent avec humanité, chaleur, humour. Toute cette galerie de personnages simples est sympathique et attachante, haute en couleurs pour certaines personnalités particulièrement savoureuses et on s’immerge facilement dans leur vie quotidienne faite de petits riens, de travail, de discussions légères comme plus “métaphysiques”.
Évidemment, ce qui reste en arrière-fond, en fil rouge, c’est cette disparition qui fait craquer la carapace que Kanae s’était forgée pour faire face à la vie : elle veut passer pour une femme forte qui sait assumer les problèmes, quitte à faire penser à certains que c’est son caractère un peu autoritaire qui a fait fuir son mari. Mais cette supposée force cache une faille, une blessure profonde que ces deux mois de doutes et d’interrogations ont fragilisé petit à petit, faisant craqueler la protection de la jeune femme finalement plus frêle et délicate qu’elle ne voulait le montrer.
Plusieurs histoires se mêlent les unes aux autres, des plus légères et rigolotes aux plus sombres, faisant comprendre que derrière la surface tranquille de ces bains publics à l’ambiance si chaleureuse pouvaient se cacher de douloureux problèmes venus du passé ou simplement des mauvais côtés de l’être humain, capable de belles choses mais aussi d’actes moins reluisants.
L’interrogation principale est énoncée par un des personnages : qu’est-ce que ça veut dire, connaître quelqu’un ? Une question qui va non seulement heurter Kanae de plein fouet par rapport à son mari, dont elle pensait tout savoir alors que sa disparition prouve tout le contraire, mais interroger également le lecteur qui va petit à petit découvrir des vérités bien cachées derrière les apparences des personnages. Rien de lourd ou de déprimant pour autant, même si pas toujours très folichon, mais cela reste profondément humain, passant beaucoup par les sous-entendus, les non-dits, les regards des personnages qui expriment plus que des mots si souvent vides de sens.
À l’heure d’internet où l’on croit connaître quelqu’un pour quelques lignes échangées sur un blog ou un forum, la question n’est-elle pas d’autant plus importante aujourd’hui ? Est-il même possible de connaître véritablement quelqu’un, surtout quand on ne sait pas toujours si on se connaît soi-même, surtout quand on ne sait pas si on est prêt à faire face à son propre reflet dans le miroir, à ce que ses propres songes pourraient révéler, à ce qu’on voudrait tenir caché pour toujours ?
Ainsi, Kanae voit de vieux démons revenir la hanter, à moins qu’ils n’aient toujours été là… La disparition de son mari devient alors une sorte de déclencheur ouvrant les vannes de la mémoire, tandis qu’elle s’interroge sur son envie profonde de connaître la vérité… Elle va finir par en apprendre plus sur lui, et l’être humain en général, en son absence que durant leurs années de mariage…
Mais attention… Toutes ces interrogations qui peuvent venir à la lecture n’alourdissent en rien le récit, très prenant, du quotidien des habitants de ce quartier, vivant au fil des jours tranquilles, comme tout le monde. Toyoda nous conte la banalité des journées qui passent, avec leurs petits détails, les petites discussions anodines entre voisins, les rencontres d’anciennes connaissances, le temps qui file… Rien n’est grandiloquent ou artificiellement mis en scène, tout semble évident, limpide, comme si ça se passait en bas de chez soi, avec des personnes que l’on prend plaisir à découvrir et rencontrer.
La narration sait prendre son temps sans être lente ou ennuyeuse, toujours parfaitement lisible même lors de flash-backs. Le trait est épuré, précis et délicat, les cases jamais surchargées (hormis par le choix de Kana de ne jamais remplacer les onomatopées même petites et donc avec un sous-titrage parfois très encombrant) tout en pouvant être détaillées, le ton juste et subtil, chaleureux et tendre, le scénario habile, mêlant vie quotidienne et recherche de la vérité de manière à rendre le tout particulièrement prenant et rythmé.
Au final, Undercurrent se révèle un petit bijou de finesse et d’humanité, avec ses joies et ses peines, ses doutes et ses fragilités, ses petits bonheurs et ses coups de blues. On finit les 300 pages serein, satisfait, conquis… et un peu songeur aussi.
C’est le genre de lecture qui m’a tenté et que je n’ai pas regretté par la suite. Sans être exceptionnel, c’est humain et touchant. Ca fait partie des lectures tranquilles mais qui posent quand des questions qui méritent que l’on s’y arrête quelques instants. Bien que la question “c’est quoi connaître quelqu’un” et que l’angle traité par l’absence ne soient pas neufs. J’ai une impression de déjà vu sans pour autant être capable de me rappeler un titre d’œuvre en particulier.
J’apprécie la tranche de vie et l’ambiance bain public/ragots qui sont toujours savoureux. Au final même 300 pages j’ai trouvé ça court, j’aurais voulu continué juste un peu !