28 janvier 2023

Locke & Key vol. 1 à 4

Série en 6 tomes par Joe Hill et Gabriel Rodriguez, éditée en VF par Milady, 176x262mm, 19,90€ le volume.

Voilà typiquement l’exemple d’une série dont je n’avais jamais entendu parler. Je furetais dans le coin Comics quand la libraire m’a dit “Prends ça, c’est le top du comics en ce moment, tu vas adorer”. Je regarde, Locke & Key volume 1, Bienvenue à Lovecraft. Je feuillette, le dessin est plutôt sympa, et puis une référence à Lovecraft dès le titre, ça ne peut que me tenter.

locke01Quelques jours plus tard, après avoir dévoré le premier, je revenais acheter les trois tomes suivants, sans me poser de questions, en me faisant la promesse de me poser tranquillement pendant l’été pour lire les 4 volumes à la suite. Je ne savais alors pas à quel point l’idée d’attendre le 20 septembre 25 octobre pour avoir le tome 5 serait douloureux… Et je n’ai désormais aucun doute sur le fait qu’attendre le 6, qui devrait clore la série, sera d’autant plus difficile qu’il n’est à ce jour pas sorti aux US – sans doute vers novembre ou décembre 2013 vu que le dernier chapitre devrait sortir en septembre. Donc pas avant 2014 en France…

Locke & Key est une série avec Joe Hill au scénario et Gabriel Rodriguez aux dessins. Joe Hill, romancier, est également le fiston de Stephen King. Difficile de ne pas penser au travail du paternel et de ses collègues écrivains quand on lit ce premier tome, tant on retrouve ce style mystérieux et petit à petit angoissant de ces livres d’horreur – même si je retrouve plus le ton d’un James Herbert ici, comme dans son roman Hanté.
Dès les premières pages, l’horreur, a priori bêtement et monstrueusement humaine, nous saute à la gorge. Rendell Locke, imposant conseiller d’orientation, est tué par un de ses élèves, aussi brillant que totalement ravagé du cerveau.
Sa femme Nina et ses trois enfants, Tyler, Kinsey et Bode, survivent mais à quel prix…
Le meurtrier enfermé, ils partent se réfugier à Keywood, la demeure des Locke à Lovecraft dans le Massachusetts, pour se reconstruire. Mais ils ne savent pas que cette maison porte une lourde histoire rattachée au passé de la famille, au chemin parsemé de clés magiques. Des clés aux multiples pouvoirs, incroyablement destructrices si mal utilisées…

Avec Locke & Key, Hill et Rodriguez nous plongent dans une saga familiale fantastique, dans tous les sens du terme.
Le premier tome est une histoire à part entière, nous faisant rencontrer les Locke et la tragédie qu’ils ont vécue et qui continue de les poursuivre même à l’autre bout du pays. Car Keywood abrite une sombre créature qui n’aura de cesse de les manipuler pour atteindre son effroyable but, multipliant les cadavres sur son passage. De nombreuses clés sont cachées au cœur du manoir et ce sont autant de portes que les auteurs entrouvrent devant nous pour mieux nous balader, parsemant l’histoire de détails et d’indices qui enrichissent continuellement le fond d’un scénario incroyablement développé et tentaculaire.
Le deuxième tome, moins sur la tension permanente, peut alors surprendre car on quitte le côté “horreur flippante” du premier pour partir plutôt dans un style “aventures et rencontres bizarres au pays des clés”. Même si l’angoisse n’est jamais loin et nous prend aux tripes quand on comprend et devine les manipulations de l’horrible Dodge, impitoyable figure démoniaque jamais rassasiée.

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Mais l’angoisse, l’horreur et les cadavres ne sont qu’une facette de l’histoire. Sans la famille Locke, rien n’existerait.
D’abord, il y a Nina, la mère, incapable de reprendre sa vie en main après l’horreur subie, ne boudant jamais un verre d’alcool voire la bouteille, totalement dépassée par ses souvenirs qui la hantent, la perte de son mari et ses enfants qui grandissent.
Tyler, l’aîné, traumatisé par l’assassinat d’un père avec qui il vivait une relation conflictuelle, torturé par ce qu’il a pu penser et ce qu’il a dû faire pour la survie de ses proches, épuisé par le poids des responsabilités qui lui incombent désormais.
Kinsey, la rebelle au cœur tendre, ado en pleine recherche d’elle-même, ne supportant plus sa peur ni son chagrin qui peuvent pourtant se révéler une force.
Et enfin Bode, le petit dernier, espiègle et adorable gamin un peu turbulent, à l’imagination débridée, le plus à même de découvrir la puissance des clés, agacé qu’on veuille constamment le protéger de tout même s’il a bien du mal à éviter le danger.
Une famille attachante, qu’on apprend à connaître, à aimer au fil des pages, les auteurs parvenant à nous développer leurs états d’âme sous nos yeux, avec énormément de subtilité et de tendresse. Leur mal-être, leurs terreurs, leurs doutes, leurs espoirs, tout nous est transmis avec intelligence, sans un gramme de patho ou de mièvrerie.
Et autour d’eux se tisse une toile d’araignée, venue du fond des temps, qui les emprisonne petit à petit, fil après fil, cadavre après cadavre.

Graphiquement, Rodriguez n’hésite pas à montrer l’horreur, sans pour autant jouer sur le malsain, le gratuit ou le gore complaisant. Flingues, couteaux, épées, dents, tout ça laisse des traces qu’on ne peut pas louper. Son trait est précis, personnel, totalement maîtrisé, extrêmement travaillé avec nombre de détails sans perdre du tout en lisibilité.
La mise en scène est brillante, a priori évidente et en même temps inventive, alerte, rythmée, sans aucun temps mort, enchaînant scènes d’action grandioses et moment de dialogues, avec souvent beaucoup d’humour et de dérision. On sourit, on rit, on tremble, on s’inquiète, on s’interroge, bref on vit au cœur de cette famille.
Et notamment de cette fratrie qui s’engueule, se protège, se déchire, se surveille, se serre les coudes. Au delà de toutes les crises, de toutes les colères, de toutes les rancœurs, chacun est toujours prêt à tout pour sauver les autres. Avec en prime autour d’elle toute une galerie de personnages qui doivent encaisser de sacrés défis s’ils comptent survivre jusqu’à la fin. Mention spéciale à Jamal et Scot et l’excellent chapitre sur la question de la couleur de peau du tome 4. Les auteurs ne craignent pas d’aborder divers sujets de société au fil des pages, sans perdre ni le sens ni le rythme de leur histoire, c’est brillant.

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Les 4 tomes parus en version française chez Milady

Enfin, le système des clés mis en place par Joe Hill est incroyable d’inventivité, purement jouissif. Tout est possible, ce qui est paradoxalement assez casse-gueule car on peut vite perdre toute cohérence scénaristique et partir dans le gros n’importe quoi foutraque. Ce n’est clairement pas le cas ici où tout se tient, les pièces du puzzle s’emboîtent parfaitement, sans pour autant qu’on puisse vraiment prédire le prochain bouleversement.

Le tome 4 démarre par un brillant (et étonnant) chapitre hommage à Bill Watterson (Calvin & Hobbes), alternant mignon et violence. Et ce qui termine ce volume, même si je trouve l’astuce un brin cliché et agaçante, porte néanmoins la tension à son maximum en s’attaquant au point faible de la famille. Il faut désormais attendre le volume 5 – Rouages – et croiser les doigts que le 6 ne tarde pas pour conclure cette brillante saga.

5 réflexions sur « Locke & Key vol. 1 à 4 »

  1. Je cherche à les avoir à ma bibliothèque depuis un moment ils sont constamment empruntés.
    Preuve que la série est très bonne.

  2. Ça y est, j’ai commencé cette série. J’en avais entendu parler par Key, mais Key n’est pas un exemple à suivre, il aime toutes les amerloqueries… J’avais lu ta chronique qui me faisait penser qu’il faudrait vraiment que je songe à essayer Locke & Key. Puis, hier, croisant le tome 1 dans la bibliothèque parisienne, je me suis dit que c’était une bonne occasion pour voir si c’est si réussi, comme tu le dis, ou tout simplement à la mode, comme le pense une certaine T.

    Et bien, je dois dire que je suis totalement de ton avis, quoique mon jugement se faisant à l’aune du seul tome 1. Quand je pense que je vais devoir attendre une dizaine de jours (et mon prochain passage sur Paris lors d’un jour d’ouverture de la biblio) pour lire la suite. C’est une attendre insupportable 🙂

    Quoique, à moins que je passe à la seule biblio de Paris ouverte le dimanche, les tomes suivants y sont en rayon 🙂

  3. Herbv : ma biblio perso t’est ouverte, si ça te dit 🙂
    Le dernier volume doit bientôt sortir en plus, j’en tremblerais presque de bonheur *_*

    Personnellement, rien que le système de clés explique tout l’intérêt de la série. Un vrai bonheur en plus d’avoir toutes ces pages explicatives (traduites !) à la fin d’un volume. Pour quelqu’un qui aime les mini-univers et les huis clos, c’est parfait.
    Et que dire de cette histoire d’adolescents qui prennent les mauvaises décisions… c’est à la fois hyper américain et hyper loin des sentiers battus.
    Le chapitre sur le racisme restera dans les annales (ou du moins, mes annales personnelles) tant il est simple et beau.

    Bref, j’ai été captivée et comme toi, j’ai acheté ou fait acheter un volume, puis un autre, et un autre… Horrifiée par la violence (la mère…), amusée par Bode, souffrant avec Kinsey, détestant Dodge…

  4. Ayé, j’en suis arrivé au même point que ta chronique. Je viens de finir le tome 4 et si je suis toujours très enthousiaste sur la série, j’ai trouvé cet opus nettement plus faible que les précédents. Deux chapitres se détachent pourtant nettement, celui sur le racisme, effectivement très réussi, et le dernier car il fait avancer le récit qui commençait à stagner, à tourner en rond. Alors, certes, le cliffhanger est un peu téléphoné mais très efficace et donne envie de lire la suite sans tarder. Je vais devoir attendre samedi pour cela 🙂

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